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Le meilleur de Serge ULESKI : société, politique, art et culture

Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Plus de 18 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs, aujourd'hui sur Overblog... Durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous !

Lettre d'une inconnue à un inconnu

 

Mon Ange, 


Ne t'étonne pas si tu ne reconnais pas mon écriture, c'est mon aide-soignante du matin qui rédige cette lettre sous ma dictée : Michelle, mon amie et confidente. Elle m'a juré qu'elle n'y ajouterait pas un mot. Tu sais, elle sait tout de nous. Alors, j'ai confiance en elle.

Mais... comment te dire ? Et puis, par où commencer ? Nous avons été loin, si loin qu'aujourd'hui je ne peux plus me contenter de te parler comme on parle à un amant. Je devrais sans doute garder le silence car je ne veux pas te gêner mais… sache que je parle de là où tu m'as tirée et de là où le lien qui m'attache à toi nous a unis et nous unit encore.

Quand tu me liras, peut-être devineras-tu dans mes phrases le courage dont je fais preuve pour écrire ce qui va suivre, mais je ne peux plus me taire : oui ! C'est une souffrance pour moi de ne pas pouvoir te toucher et me blottir dans tes bras. Avant notre rencontre, ma vie était sans lumière. Alors, je veux pouvoir garder un peu de cette lueur pour atteindre en toi tout ce qui nous lie encore aujourd'hui. Je ne veux pas qu'on s'éloigne l'un de l'autre. Comme je dicte cette lettre, ton image inchangée émerge, une fois encore, géante ; pour un peu, j'en arriverais à penser que si je tends les bras, là, maintenant, je pourrai sans difficulté te toucher avec mes mains.

J'ai longtemps prié avec ferveur, ardemment, qu'un homme au regard tendre et franc arrive ; et tu es venu. J'avais tant espéré et le miracle a eu lieu. Un miracle minuscule aux yeux du monde mais pour moi, ce miracle, c'est le plus grand. Tu as été l'étincelle. Auprès de toi, j'ai trouvé ma vie comme on trouve la foi sans doute après l'avoir longtemps attendue. Une révélation ma vie auprès de la tienne ! J'étais sûre qu'avec toi, je serais bien. J'ai toujours su que ma vie ne serait pas facile, mais j'ai préféré un bonheur au goût amer à une existence désespérante. Je n'ai rien à regretter car sans ta venue, il n'y aurait eu pour moi ni bonheur ni espérance. Tu as été mon logis, ma vraie demeure. Tu m'as tout donné et tu ne m'as rien repris. Je te loue et ne cesserai jamais de te louer.

Je pense à cet élan irrésistible qui nous a portés et qui me porte encore en dépit des larmes que je pleure chaque jour, et à travers lesquelles je te vois maintenant. Je pense aussi à ce malaise merveilleux qui m'a affolée. Même si j'ai été submergée, je ne regrette rien, tu sais... puisque c'est arrivé. Je ne renie rien non plus. Auprès de toi, j'ai trouvé la vie qui aurait dû être la mienne. J'ai été avec toi ce que j'aime être. Rien n'a été plus violent, plus voluptueux aussi. Avec toi, j'étais fière de moi. Le plaisir en moi venait de toi et de toi seul. J'ai tout aimé. Mais c'est trop peu de dire que j'ai aimé. Comparé à ce que je ressens, tout ce que je dis me semble plat. Je réalise l'impuissance des mots, maintenant que j'écris.

Ici, c'est le chaos et la déchéance. La maladie ne me quitte plus. J'ai peur. Elle me tire vers le bas au point de ne plus pouvoir me redresser et me tenir debout. Elle veut que je descende avec elle et je ne veux pas y aller. Non ! Je ne veux pas mais je ne suis pas assez forte. Elle continue de me tirer par les bras, par les jambes et je glisse avec elle. Je ne suis plus capable que d'un cri : celui de la haine pour cette maladie qui m'arrache hors de moi et de tout ce que je peux souhaiter pour nous deux. Je ne sais pas ce qu'elle cherche à me faire payer mais elle ne veut pas me lâcher ! J'appartiens maintenant tout entière au monde de cette maladie. Je vis dans sa respiration ; elle est mon souffle. Elle ne cessera plus de me détruire jusqu'à la fin. Elle me prendra tout. Elle ne me laissera rien. Je sais que je vais tout y laisser. Elle me commande. Elle me force à quitter ce monde. Je la hais. Je la vomis et elle le sait. Mais plus je la maudis plus elle insiste et redouble d'énergie. Alors, elle me tire et je descends avec elle.
 

Mon Ange, sache que j'ai encore la force de t'aimer mais ce que nous avons fait nous ne pouvons pas le refaire. Non ! On ne le peut plus. Même si je souhaite toujours exister pour toi, je ne peux plus te faire face. Je suis dans cet état où personne n'oserait me regarder sans gêne et sans dégoût. Je renonce. Je dois partir parce que les temps sont perdus... perdus et corrompus pour nous, mon Ange. Je sais tout le désespoir que tu en auras mais je dois maintenant te demander de ne plus chercher à rentrer en contact avec moi. Tu ne dois plus me voir. Pour le reste, ma famille pourvoira. Finalement, la maladie m'aura épargné le pire : leur mépris. Il s'en est fallu de peu. Sans cette maladie, je n'étais plus rien à leurs yeux sinon une femme infréquentable doublée d'une mère indigne.


Je m'en vais mon Ange, mais tu ne dois pas me chercher car, là où je vais, tu ne peux pas venir. Mais je reviendrai. Oui ! Je reviendrai avec dans un coin de la fenêtre un beau clair de lune ; et je te parlerai de mon voyage toute la nuit durant.

Toi, tu ne m'as jamais nui. Tu as toujours su rester raisonnable. Tu t'es toujours arrangé pour que ma famille ne sache rien. J'ai aimé ta prudence et ta délicatesse, tu sais. Tu as été si compréhensif... alors, et ce sont mes derniers mots : aujourd'hui, je fais appel à ta sagesse. Oui ! Ta sagesse. Il ne faut plus chercher à me voir mon Ange. Il ne le faut plus.

Que le sommeil se pose sur mes yeux et la paix tout autour de moi. J'aimerais tant trouver un vrai repos. J'aimerais tant que l'on m'aide à le trouver, épuisée que je suis.

Les adieux sont un si grand chagrin que je n'en parlerai pas.

I kiss you with a sigh. Je t'embrasse... d'un soupir.

 

_________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait du titre : « Cinq ans, cinq nuits » - copyright Serge ULESKI

 

 

 

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