Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Plus de 18 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs, aujourd'hui sur Overblog... Durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous !
5 Septembre 2019
Mai 68 ouvrier, l’École libre avec son million de manifestants sous Mitterrand, les mobilisations lycéennes des années 90, la longue grève de 1995, les émeutes de 2005 dans les « banlieues » de nos métropoles, les Bonnets Rouges, Notre Dame des Landes…
Les modes de contestation et les modalités des luttes de type Gilets Jaunes (GJ) apportent aujourd’hui la confirmation irréfutable suivante : la « Rue » dans son acceptation la plus large - mégapole, urbain, péri-urbain, campagne-urbaine et campagne profonde -, est bien le premier et dernier lieu d’une expression à la fois citoyenne et populaire d’une radicalité qui seule permet de contrer des politiques qui hurlent à l’injustices.
Reste néanmoins à déplorer les grands absents aux côtés des Gilets jaunes :
Ces français issus de l’immigration pour commencer, et alors que cette catégorie de Français est sur-représentée au sein des classes populaires : salaires, conditions de travail, conditions de vie ; enclavement et stigmatisation ; population que l'on trouve dans le RER dès 6H le matin embauchée dans l'hôtellerie (femmes de chambre), les entreprises de nettoyage - bureaux, métro, chaussées et autres, collecte des déchets, le bâtiment, la restauration, les Travaux publics, le personnel hospitalier, et celui des HEPAS, les ambulanciers, les manutentionnaires...
Une analyse des raisons de cette absence est urgente ; et s’ils sont peu nombreux à s’y coller (sociologues et journalistes) c’est sans doute pour la raison que toute analyse pourrait tordre le bras du politiquement correct car force est de constater que ce refus de s’engager pourrait révéler un problème de légitimité citoyenne et sociale à l’origine de laquelle on trouvera tout un pan de notre société sur lequel les médias n’ont pas cessé de « taper », leurs éditorialistes en tête, avec une complaisance inouïe, et ce en toute impunité : auto-dépréciation, doute sur sa propre légitimité ( Qui suis-je pour me révolter ?), dissuasion, intimidation… si le cœur n’y est pas c’est que le courage a sombré face à trente ans et plus de procès d’intention et d’instrumentalisation de tout un territoire et de toute une communauté dépréciée et culpabilisée sans vergogne. Faut dire que tous les attendent au tournant. Toutes les banderoles sont déjà prêtes et les Unes des médias aussi : « Daesch est dans les rues ! Aux armes citoyens de souche européenne ! Aux armes ! »
Quant à l’économie souterraine qui nourrit des milliers de familles et sans laquelle ces dernières seraient en grande difficulté, ses leaders, ses acteurs et ses petites mains seraient mal avisés d’attirer l’attention : le silence est d’or, la discrétion et la loyauté aussi, et la parole interdite dans ces cercles.
Ces lieux dits quartiers, dits ban-lieues (lieux au ban de la société ?) sont aussi terriblement marqués socialement, éthiquement et religieusement ; il y règne un esprit de corps, un esprit communautaire qui fait que tous bougent ensemble ou bien personne (souvenons-nous des révoltes de 2005 !). D’autant plus que peu nombreux sont ceux qui souhaitent défendre ces territoires qui plombent les CV ; aussi, dès que la situation d’un de ses habitants le permet, celle-ci ou celui-ci n’a qu’un désir : en sortir - passer à l’Ouest : de Bobigny à Courbevoie ; de Bondy à Issy les Moulineaux.
Si d’aucuns peuvent se réjouir de leur silence et de leur passivité à tous ( L’Elysée, Matignon, les Médias et la quasi-totalité de la classe politique : LR, LAREM, RN en tête), il n’en reste pas moins que le revers de la médaille de cette absence a pour nom : un sentiment d’appartenance à notre Nation qui s’étiole année après année.
Autre absence : celle des agriculteurs (à 300 euros par mois !) et éleveurs qui n’ont sans doute même plus la force de se mobiliser et que la Confédération paysanne et la FN-SEA ont abandonnés à la faillite et au suicide.
Là encore, si on trouvera toujours du monde pour s’en féliciter (un problème de maintien de l’ordre en moins à gérer !), il est vain de chercher à nier le fait que notre pays profondément divisé, atomisé, n’est plus capable que d’une chose : exclure des millions de nos concitoyens… a fortiori les plus anciens d’entre nous de par leur métier, leur savoir-faire et leur lieu de vie ; des agriculteurs victimes d'un système qui fera mourir de soif celui qui apporte l'eau, et de faim celui qui cultive la terre.
A noter aussi l’absence dans les médias et sur les ronds-points de nos dits "Intellectuels" à quelques exceptions près : Todd, Onfray et Éric Hazan - ce dernier étant un spécialiste de l’insurrection, il est vrai ! et une lettre de Claude Michéa ICI à propos du mouvement des Gilets Jaunes ; Frédéric Lordon qui est intervenu dans les premiers jours, aujourd’hui est silencieux ; pourtant, il avait toute sa place autour du mouvement Gilets Jaunes ; effrayé par E. Chouard, il s’est très vite retiré : courageux mais pas téméraire Lordon !
Rien de surprenant à cela finalement car... le peuple quand il n'est pas là, tous en parlent et le déplorent ; quand il pointe le bout de son nez, tous vont voir ailleurs.
Si tout ce beau petit monde d'Intellectuels est resté muet c’est qu’ils ont compris très vite qu’il n’y avait aucune place pour eux dans ce mouvement livré à lui-même certes, mais pas si désorganisé que ça ; aucune place, aucune porte d’entrée, aucune voie de passage, aucun intermédiaire susceptible de les y faire entrer. Ce qui prouve, si besoin était, que nos intellos de service n’ont aucun contact avec ceux qui ne leur ressemblent pas : les jeunes futurs diplômés du mouvement "Nuit debout" : oui ! Les Gilets Jaunes dans toute leur diversité populaire : non ! Mille fois non !
La dite « dissidence 2.0 »… absente elle aussi ; une dissidence qui a trouvé refuge sur internet depuis plus de 10 ans maintenant : cette dissidence se contente de commenter les événements de loin, de très loin ; ce qui prouve le niveau de relégation des classes populaires isolées, reléguées, parquées ; quand elles bougent, personne n’est capable de faire le lien avec elles.
Et maintenant...
Convergence des luttes ? Vous avez dit « convergence des luttes » ? Mais alors, qui a pu croire un instant, ne serait-ce qu’un quart de seconde, à cette vieille lune ? Sûrement pas les centrales syndicales de nos Routiers d’ordinaire si sympas ; après quelques aboiements, le gouvernement s'est fait dessus, et nos syndicalistes sont partis comme des voleurs distribuer quelques euros à leur troupe maintenant satisfaite.
Dommage ! Vraiment ! Tous ces gros poids lourds,... tout ce potentiel de nuisance, quand on y pense ! Nous tous, nous commencions à rêver à un…
Enfin…
Et que penser de l'absence des Vtcistes des plateformes Uber et autres ? 12H de conduite par jour pour un SMIC à la fin du mois ? Qu'est-ce qui peut bien les retenir tous de crier leur "ras le bol !" ?
Abandonnés par tous les corps intermédiaires indépendants et autonomes (corps situés entre le citoyen et l'Etat qui a le monopole du droit et du recours à la violence), viennent maintenant à l’esprit, les syndicats dits "partenaires sociaux".... : partenaires privilégiés de l'oligarchie et de la ploutocratie qui nous gouvernent ?
Pensons ne serait-ce qu'au million d’enseignants ( il est vrai que l’on ne trouvera guère parmi eux un personnel payé au SMIC ; de plus, il s’agit d’une corporation cadenassée, tenue en laisse par des syndicats autoritaires) ; le personnel de santé aussi (les aides-soignantes non soutenues par leurs syndicats hésiteront sans doute longtemps avant de se mobiliser).
Ces syndicats de salariés ne seront donc pas les derniers à regarder ailleurs pendant que les Gilets Jaunes parviennent semaine après semaine, à retrouver leur dignité en sortant de leur isolement pour mieux renouer le contact avec ceux qui partagent leur sort, les mêmes conditions de non-vie et de non-existence faute de moyens et de considération : potentiellement entre 15 et 20 millions de nos compatriotes – foyers avec ou sans enfants ; actifs ou non.
Certes, les syndicats de police comblent ce manque ; tous sont présents sur les plateaux-télé.
A propos de cette absence des syndicats, on pensera à la CGT dont on était en droit d’attendre une autre attitude de la part de sa direction ; une direction frileuse, figée, dogmatique, incapable d’adaptation, incapable de la moindre prise de risque ; lâcheté et incompétence qui expliquent le taux de syndicalisation dans les entreprises du privé ; une structure refermée sur elle-même, une verticalité abusive de maître-chien à la tête d’un chenil ; caractéristique qui a pour origine une seule motivation, ancrée, chevillée au corps, et ce dès les premières heures, les premières années de leur engagement à tous avant la trahison : échapper au travail, à la dictature du salariat et à son humiliation pour ne pas, ne plus, ne jamais partager ses conditions d’existence. Et puis... la carrière ! Gravir les échelons du non-travail au sein d'une structure elle aussi anti-démocratique, arriviste et vénale.
Pour s’en convaincre, il n’est que de les observer tous autant qu'ils sont lorsqu’ils se rendent qui à Matignon, qui à l’Elysée, la poignée de main chaleureuse, sourire grand format – sourire de rescapé-échappé du monde du travail -, habités par une fierté de garçons de course flattés d’être reçus dans les lieux prestigieux d’une négociation venue chercher les miettes d’une vie digne et riche en opportunités.
Vous pensez ! Cette même CGT s’avérera incapable de faire payer le Groupe Casino qui refusera de verser une prime de fin d’année à ses salariés - et de s’en plaindre dans les médias ! - alors qu’il suffisait de quitter son poste et de baisser le rideau pour mieux priver d’activité tous les centres commerciaux du Groupe deux semaines avant les fêtes.
Certes, on pourra toujours objecter ce qui suit : "Mais mon bon Monsieur... depuis la fin des années 70, juste avant l'arrivée du PS au "pouvoir", les syndicats, c’est plus fait pour les classes populaires !"
Dont acte.
Et puis aussi... les Lycéens.
Saluons au passage leur tentative de se faire entendre ; hélas, ces Lycéens n’étaient pas ceux de 1995 : ils n'ont pas fait long feu ; à la première alerte, à la première menace, à la première injonction – mains sur la tête, à genoux ! -, de notre police tellement républicaine dans ses mœurs, tous sont rentrés chez Papa et Maman ; plus de 20 ans après, on a découvert des Lycéens craintifs : des lycéens dévirilisés ?
Sans doute avions-nous oublier que depuis les années 90, l’industrie du divertissement numérique était passée par là. Ce qui fait que… le virtuel ne représente pas simplement un danger d’une déconnexion face à la réalité… le virtuel vous amaigri moralement, physiquement et psychologiquement : il vous inhibe au-delà de toute attente ; quand on en prend conscience, c’est déjà trop tard : on l’a dans le baba !…
Et c’est alors que l’escargot n’a qu’un réflexe : rentrer dans sa coquille ; d’autres mentionneront une niche.
Une chose est maintenant avérée : tous les marchands peuvent dormir tranquilles ; leurs clients sont bien partis pour obéir au doigt et à l’œil.
Début décembre, la rumeur suivante a couru, au sprint qui plus est : le gouvernement craindrait la possibilité d’une connivence des forces de l’ordre avec les Gilets jaunes ; une sorte de retenue de leur part dans ce qui était exigé d’elles : le rétablissement et le maintien d'un ordre profondément injustice et méprisant. Du moins, c’est ce que les médias ont tenté de nous vendre, histoire sans doute de mettre un peu de piment dans l’actualité du mouvement : là encore, une poignée d’euros suffiront à écarter ce danger inexistant.
Faut dire que l’expression de l'éventualité et de la réalité de ce risque de défection n’était que la marque de l’ignorance…car c’était oublier, ou bien ignorer, l’histoire des mouvements ouvriers et autres mouvements tout au long des deux siècles derniers : la répression dans le sang des Communes de 1830, 1840, 1848 ; 1871 ; c’était oublier les ouvriers grévistes tout au long du 19è siècle passés par les armes ; plus tard, notre belle police républicaine sous l’Occupation ; puis l’Affaire algérienne : cadavres descendant les eaux crasseuses de la Seine et d'autres découverts pendus aux arbres de notre belle forêt de Fontainebleau ; ne reculant devant rien, grâce à cette même police, on trouvera aussi des corps près des bouches de métro (Charonne) en 1962.
Aussi, si la police demeure républicaine... force est de constater qu’elle s’y maintient dans notre République sous condition qu’on ne lui demande pas de donner un coup de canif, ou bien de hache (ça dépend de la période et de l’insistance avec laquelle la requête est présentée) dans cet engagement qui serait le sien - engagement républicain indéfectible - pourtant aussi intermittent que friable sur la longue durée : celle des massacres de classes laborieuses et des minorités.
Et puis enfin, à propos du tabassage gratuit de centaines de Gilets Jaunes par une police maintenant indigne de toute considération, on ne pourra pas ne pas déplorer le silence assourdissant des médecins des hôpitaux qui traitent des mains arrachées, des visages défigurés, la perte d'un oeil, des hématomes aux séquelles à vie ; l'absence de réaction de l'ordre des avocats, de la ligne des droits de l'homme (LDH) et de la classe politique et médiatique.
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Partis politiques disqualifiés, syndicats inopérants, médias dont l’engagement en faveur d’une information honnête s’est effondré depuis 20 ans au profit de la gestion de carrières au sein d’un univers de pigistes payés au ras de pâquerettes (ce qui ne les empêche pas tous... d’entretenir l’espoir d’un titularisation et pourquoi pas, à terme, d’une nomination à la tête d’une rédaction), des médias « ... censés représenter un 4è pouvoir qui ont fusionné avec les 3 premiers - exécutif, législatif et judicaire», les Intellos et autres universitaires (les sociologues entre autres) tous impuissants à nouer un contact quel qu’il soit avec les Gilets Jaunes - la France de l’abstention - sinon en tant que professionnels spécialisés dans la scrutation de « bêtes sociales aussi curieuses que rares »...
Espérons que tous ces absents seront en tirer les conclusions qui s'imposent à leur sujet : "A quoi, à qui servons-nous in fine ?"
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Dévoilement, révélation d’un effondrement moral, intellectuel et culturel sans précédent, perte du sens des responsabilités chez les journalistes et les élus, devoirs civique et citoyen mis au rebut par ces derniers… la grande richesse de ce mouvement, son apport inespéré, c’est son caractère épiphanique : la révélation de ce qui est, de ce que les médias, les Intellectuels, les élus (si mal élus !), les centrales syndicales sont devenus ; révélation de leurs motivations réelles et de leur niveau d'engagement à tous et pour quel profit et pour qui ; révélation du vrai visage de notre République : cette gueule cassée, borgne, énuclée de ses classes populaires et du souci d'une justice sociale pour tous ; révélations qui nous apportent la confirmation, au-delà de toute erreur possible, de ce que nous sommes nombreux à soupçonner depuis des années : l'organisation de notre société repose sur un seul et unique mensonge... la soi-disant recherche de la concorde et de la justice des conditions d'existence comme ultime projet... projet d'essence et d'esprit humaniste qui plus est. Et ce mensonge est arrivé en fin de vie. La catastrophe est maintenant proche.
Et c’est alors, et c’est maintenant que Facebook, Youtube et Twitter deviennent les alliés (même si la censure y fait rage !) très involontaires de la contestation d’un ordre économique, financier et politique aussi crapuleux qu’égoïste et lâche dûment assumé par les Jean-foutre d’une classe aussi méprisante que vénale.
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