16 Mai 2023
Alors que les salariés ne connaissent de l’entreprise que le poste qu’ils occupent, l’aigle, lui, survole toutes les pistes de son territoire et explore toutes les voies qui mènent à eux.
Le survol de cet aigle c’est celui du maître des lieux qui fait sa tournée comme un propriétaire fait le tour de ses terres, serrant des mains, opinant du bonnet ici et là. Jamais il ne se pose. Toujours en mouvement à l’écoute des rumeurs, à la recherche du moindre malaise et des conflits larvés.
Quand on surprend son vol, les rares fois où l’on pense à lever la tête, il annonce une nouvelle distribution des cartes qui célébrera bientôt l’apothéose de la vie accoucheuse de stratégies aussi surprenantes qu’inattendues, en un tour de main, jusqu’à rendre méconnaissables et les lieux et le travail qui y est effectué.
Son survol peut être celui d’un prédateur cherchant sa nouvelle proie l’appétit au ventre, affamé : les rêveurs, les tire au flanc, les faux culs, les fumistes, ceux qui ne doivent rien à eux-mêmes et tout à ceux qui les ont nommés.
Pour tous ceux-là, ce sera grandeur et décadence ou bien, grandeur et déchéance. C’est selon et… c’est du pareil au même.
Autre objet de son attention : le peuple silencieux. Toujours en retard sur la vie de leur travail, ces travailleurs candides, puisqu’ils n’en contrôlent ni les bouleversements ni les adaptations. Un jour, on leur signifiera leur congé définitif et en attendant, on se contentera de les conduire inévitablement et à leur insu, à leur perte et ce, bien avant que l’heure de la retraite ne sonne.
Sur eux, la pression s’est accrue : horaires chaotiques, contraintes de résultats, menaces de licenciement. Outils de discipline au travail par excellence cette pression ! On leur parlera de flexibilité, d’autonomie et de polyvalence - comprenez : isolement et solitude -, sans oublier de mentionner des changements permanents qui nécessiteront de nouveaux comportements.
Cet aigle, c’est aussi un sourcier céleste fouillant du regard, scrutant, maladif, le sol, le sous-sol et ses plus petits interstices, en annonciateur de déluges qui viendront balayer tous les pauvres bougres en deçà de leurs attentes et au-delà de leurs craintes ; et les autres aussi : ceux qui se croyaient à l’abri.
Nouvelles exigences des temps modernes : le retour à l’instabilité généralisée et permanente du monde. Il est tous les glissements de terrain purificateurs cet aigle blutoir qui tamise cette poudre farineuse que sont ses effectifs. Cette instabilité a pour nom : meurtre productif... si vous l’interrogez dans l’intimité de sa retraite, c’est à voix basse qu’il vous fera cette confession, le regard inquiet de peur qu’on ne l’entende alors qu’il ne souhaite être entendu de personne.
Il poursuit partout et sans relâche la liquidation de l’ancien monde, celui d’hier matin et prépare déjà celle de demain. Cet ancien monde, c’est le monde tel qu’il ne lui convient pas mais tel qui pourrait tout aussi bien lui convenir si d’aventure ce monde devait servir ses intérêts.
Le territoire (1)de cet aigle a pour le nom : DRH ! Et son occupation : gestion des ressources humaines, ou GRH.
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Territoire dirigé et occupé dans une majorité écrasante des cas par des femmes. Et si on ne compte plus les épouses qui divorcent des maris licenciés ou au chômage depuis trop longtemps, la commisération et la loyauté fondant comme neige au soleil lorsque l'insécurité pointe le bout de son nez, pareillement, est-il légitime de s'interroger au sujet de ceux, ou plus précisément... au sujet de celles qui occupent ce territoire. Car enfin... qu'est-ce à dire ? Des femmes, des mères dévoreraient donc leurs propres enfants telles des mantes religieuses coupant des têtes : licenciements, démissions forcées, retraite anticipée, mise au placard de millions de salariés…
Aussi, les femmes, hier encore dominées, seraient-elles les mieux à même de servir les intérêts des dominants qui sont majoritairement des hommes ? Les victimes faisant alors d'excellents bourreaux-exécutants et les esclavages... des maîtres sur-doués.
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Et si le pouvoir (et la trahison ?) était bi-sexuel ? Ou bien encore : et si le pouvoir n'avait pas de sexe ? A la fois eunuque, frigide et stérile mais brutal... d'une brutalité à la hauteur de sa propre impuissance et infirmité ?
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Extrait du titre "La consolation" - Copyright Serge ULESKI
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