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Le meilleur de Serge ULESKI : société, politique, art et culture

Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Plus de 18 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs, aujourd'hui sur Overblog... Durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous !

« Trois places pour le 26 » de Jacques Demy : le film de trop ?

 

                   
 

 

               « Trois places pour le 26 » était un projet vieux de dix ans  lorsque le film sort en novembre 1988 ; aussi, à propos de ce film de Jacques Demy, son dernier, qui aurait donc dû sortir dans les années 70, il semblerait qu’il soit arrivé trop tard pour tout le monde : Yves Montand en premier ; puis Michel Legrand qui a perdu en route, ou à qui l’on a fait prendre, son génie mélodique reconnu internationalement ; un Michel Legrand qui trouve difficilement sa place dans ce brouhaha musicale des années 80 avec ses percussions (batterie et autres) électroniques d’une pauvreté "de timbre" certaine et "de touché" aussi et dont le mixage déplorable n’arrange rien,  même si, en revanche, ce film arrive pile-poêle  pour Mathilda May à propos de laquelle on se gardera bien de trouver quoi que ce soit à lui reprocher. Quant à la chorégraphie, difficile de porter un jugement ; beaucoup de jambes en l’air et de bras aussi mais peu de décollage et d’envolées.  Faut dire qu’il a toujours été difficile de porter un jugement sur toutes les chorégraphies dans les films de Jacques Demy (excepté lorsque Gene Kelly prend en main sa propre chorégraphie dans "les demoiselles de Rochefort") : chorégraphies du samedi-soir pour des productions à la « Maritie et Gilbert Carpentier » des années 70 ?

             Cela précisé… avoir consacré à la carrière de « Yves Montand chanteur interprète » un long métrage, était-ce bien raisonnable ? Un Montand qui peine à exister sur l’écran, à la voix inaudible… un Yves Montand, tout bien considéré, qui n’aura été durant une partie de sa carrière au music-hall qu’une pâle copie de tout ce que Hollywood, la comédie musicale, le vaudeville, Broadway ont été capable de produire à partir des années 30 jusqu’à la fin des années 50 ; un Yves Montand "Fred Aster de comité d’entreprise ", animateur pour retraités désoeuvrés à qui il aurait manqué deux jambes.

Bien qu’il demeure en tant qu’acteur un des meilleurs de sa génération, et ce quel que soit le choix de ses rôles, le tour de force de « 3 places pour le 26 » c’est sans doute d’avoir mis en scène un Yves Montand qui peinera à exister, à occuper l’écran, à y imposer sa présence à défaut de le « crever » cet écran, Mathilda May éclipsant souvent l’acteur, lui volant la vedette ; un acteur condamné alors à n’être que l’ombre de lui-même.

Est-ce à cause d’une mise en scène défaillante ? Le projet était-il disproportionné par rapport au personnage d’Yves Montand dont la carrière et l'oeuvre en tant que chanteur ne méritaient pas tant de tapage ? Etait-ce l’âge ? La fatigue ? Une sorte de lassitude ?

Sorti en 1988, Montand décédera en 1991 ; Jacques Demy, un an plus tôt. Aussi, « 3 places pour le 26 » aura-t-il été une sorte d’enterrement, et pour le malheur de Yves Montand, un enterrement de seconde classe ?

Un Montand un temps proche du parti communiste, qui débutera dans la carrière comme cowboy " ...dans les plaines du far-ouest" dans les années 40 auprès d’un bivouac pour finir chez les Reagan (Nancy et Ronald) à la Maison Blanche, à leur invitation, armé d’ un gros flingue « modèle Colt Python 357 » sorti tout droit de « Police Python 1976 - A. Corneau » au cours duquel il abattra sans sourciller ( le public et la critique non plus)  d’une balle dans le dos un braqueur en fuite, inoffensif, tellement la police est bonne quand c’est Montand qui l’incarne tout en croyant lui rendre hommage, adressant à cette police de l 'antigang un coup de chapeau… coup de chapeau plutôt sinistre pour l’occasion.

Comment peut-on alors se fourvoyer à ce point ?

Une réponse s’impose : fils d’immigré italien, employé dans les chantiers navals de la Ciotat, Montand est l’archétype de l’ouvrier sorti du rang qui commence Cowboy et finit flic pour le compte de la bourgeoisie qui a pourtant maltraité ses parents et ceux des autres, des générations durant et qui continue de les maltraiter et de les exploiter. C’est donc un cliché affligeant et désespérant que cet ouvrier qui croit devoir sa réussite aux classes supérieures jusqu’à les servir et parfois même, jusqu’à singer leurs mœurs.

Pensez seulement au couple Signoret-Montand qui se voyait déjà à l’Elysée. La bêtise n’a pas de limite quand elle prend le dessus. Et si la vieillesse est un naufrage, elle peut aussi être une noyade et un enterrement.

Que l'on se rassure : Signoret et Montant auront de très belles obsèques car les beaux quartiers savent rendre hommage à ceux qui les ont servis, amplement servis, surtout après avoir longtemps tenu responsables ses occupants, la bourgeoisie, de tous les malheurs du monde  - à juste titre pourtant !

 

***

            Ne nous y trompons pas néanmoins :  « Nouvelle vague » ou pas, malgré l’échec artistique et cinématographique de « 3 places pour le 26 », Jacques Demy demeure sans aucun doute le seul réalisateur-cinéaste-artiste français, qui ait été à la tête de projets cinématographiques réellement novateurs, et ce dès les années 60 : « Les parapluies de Cherbourg », pour commencer, d'une audace sans précédent au côté d'un Michel Legrand et de son traitement, là encore novateur, de l'association mélodie, voix et texte (1) ; tous deux prenant alors tous les risques ; risques  financier et artistique que peu de réalisateurs et de producteurs ont osés avant et après eux.

 

 

1 - Legrand et Demy connaissaient-ils "Le Sprechgesang" ?

"....Un style de récitation à mi-chemin entre la déclamation parlée et le chant, créé par Engelbert Humperdinck connu pour avoir été utilisé pleinement par Schönberg dans le Pierrot lunaire (1912) considéré comme la première œuvre "100% sprechgesang".  - Wikipédia

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