6 Août 2020
Sans aucun doute une des images les plus positives et les plus touchantes du mouvement des Gilets jaunes ; une telle ironie, un tel investissement, une telle intelligence dans son contenu et sa réalisation, l'âge des participants, tout ce talent au service de la dénonciation de l'injustice d'un mal-vivre dévastateur...
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"Their understanding begins to swell and the approaching tide will shortly fill the reasonable shores that now lie foul and muddy"
The Tempest - W. Shakespeare
Mai 68 ouvrier, l’École libre avec son million de manifestants sous Mitterrand, les mobilisations lycéennes des années 90, la longue grève de 1995, les émeutes de 2005 dans les « banlieues » de nos métropoles, les Bonnets Rouges, Notre Dame des Landes…
Les modes de contestation et les modalités des luttes de type "Gilets Jaunes" (GJ), leur efficacité, leur réussite, ne semblent guère contestables depuis de nombreuses années.
Force est de reconnaître que cette « France Gilets Jaunes » - alliance inédite du prolétariat, des classes populaires, des retraités, des chômeurs, des petites classes moyennes (couche menacée par le déclassement et le tassement des niveaux de vie et des perspectives de promotion sociale) et de la petite bourgeoisie (commerçants et artisans) -, apporte aujourd’hui la confirmation maintenant irréfutable : la « Rue » dans son acceptation la plus large - mégapole, urbain, péri-urbain, campagne-urbaine et campagne profonde -, est bien le dernier lieu d’une expression à la fois citoyenne et populaire d’une radicalité qui seule permet de contrer des politiques qui hurlent à l’injustice.
La seconde nouveauté de ce mouvement, c’est le fait qu’il s’agisse d’un mouvement aux revendications non catégorielles, non générationnelles, non idéologiques et non confessionnelles contrairement à tous les mouvements passés.
Autre nouveauté : le fait que la province soit la seule à se mobiliser dans un environnement de villages et de communes de tailles moyennes ; rien en Ile de France et très peu d’actions sur Lyon ou Marseille. Et c’est cette province-là qui montera sur Paris et qui pour la première fois depuis les années 30, viendra occuper la rive droite de la Capitale. Fini le quartier latin… place aux avenues Foch et Kleber… Arc de triomphe, la Concorde, plus tard Montmartre puis le boulevard Hausmann et les Grands Magasins.
A noter la place prépondérante qu'occupent les femmes dans la mobilisation ; des femmes du monde du travail, mères de familles seules ou bien accompagnées de leurs conjoints...
On saluera donc cette prise de conscience, l’importance de la mobilisation et la composition de cette mobilisation étendue à des pans de la société jusqu’ici résignés, silencieux mais certainement pas exempts de colère.
On pourra toutefois déplorer l’absence des français issus de l’immigration alors que cette catégorie de Français est sur-représentée au sein des classes populaires : salaires, conditions de travail, conditions de vie, enclavement et stigmatisation.
Une analyse des raisons de cette absence est urgente ; et si les chercheurs en sciences humaines sont peu nombreux à s’y coller c’est sans doute pour la raison suivante : toute analyse pourrait tordre le bras du politiquement correct car force est de constater que ce refus de s’engager pourrait révéler un problème de légitimité citoyenne au sein d'une population sur laquelle les médias n’ont pas cessé de « taper », leurs éditorialistes en tête, avec une complaisance et une impunité inouïes : autodépréciation ( Qui suis-je pour me révolter !), dissuasion, intimidation… si le cœur n’y est pas c’est que le courage a sombré face à trente ans et plus de procès d’intention et d’instrumentalisation de tout un territoire et de toute une communauté et classe dépréciées et culpabilisées sans vergogne.
Faut dire que tous les attendent au tournant ; toutes les banderoles sont déjà prêtes et les unes des médias aussi : « Daesch est dans les rues ! Aux armes citoyens de souche européenne ! Aux armes ! »
Quant à l’économie souterraine qui nourrit des milliers de familles et sans laquelle ces dernières seraient en grande difficulté, ses leaders et ses petites mains seraient mal avisés d’attirer l’attention. Le silence est d’or, la discrétion et la loyauté aussi, et la parole interdite dans ces cercles.
Ces lieux dits quartiers, dits ban-lieues (lieux au ban de la société ?) sont aussi marqués socialement, ethniquement et religieusement ; il y règne un esprit de corps, un esprit qui fait que tous bougent ensemble ou bien personne (souvenons-nous des révoltes de 2005 !). D’autant plus que peu nombreux sont ceux qui souhaitent défendre ces territoires qui plombent les CV ; aussi, dès que la situation d’un de ses habitants le permet, celle-ci ou celui-ci n’a qu’un désir : en sortir - passer à l’ouest, de Bobigny à Courbevoie ; de Bondy à Issy les Moulineaux.
Et que penser de l'absence de ces agriculteurs à 300 euros par mois qui n’ont sans doute même plus la force de se mobiliser et que la Confédération paysanne (depuis que José Bové à disparu des radars, tout député européen qu'il est - à croire que ça sert à ça la députation : disparaître !) et la FN-SEA ont abandonnés à la faillite et au suicide ?
A noter aussi, l’absence des "Intellectuels" à quelques exceptions près (Todd, Lordon, Onfray et Éric Hazan – ce dernier étant un spécialiste de l’insurrection, il est vrai). Si tous nos intellos sont restés muets c’est qu’ils ont compris très vite qu’il n’y avait aucune place pour eux, dans ce mouvement livré à lui-même certes, mais pas si désorganisé que ça. Aucune place, aucune porte d’entrée, aucun intermédiaire susceptible de les y faire entrer. Ce qui prouve, si besoin était, que nos intellos de service n’ont aucun contact avec ceux qui ne leur ressemblent pas : les Gilets Jaunes dans toute leur diversité.
La dite « dissidence 2.0 »… absente elle aussi à l'exception de Dieudonné et d'Alain Soral ; une dissidence qui a trouvé refuge sur internet depuis plus de 10 ans maintenant : cette dissidence se contente de commenter les événements de loin, de très loin ; ce qui prouve le niveau de relégation des classes populaires ; quand elles bougent, personne n’est capable de faire le lien avec elles.
Partis politiques, syndicats, médias, les Intellos et autres universitaires, tous disqualifiés et impuissants à nouer un contact quel qu’il soit avec les Gilets Jaunes sinon en tant que professionnels spécialisés dans la scrutation de « bêtes sociales curieuses » à savoir : les sociologues.
Espérons que tous en tireront les conclusions qui s’imposent car c’est bien à côté de l’essentiel qu’ils passent tous même si leurs perspectives de carrière demeurent aussi intactes que prometteuses ; une carrière d’universitaire autour des Gilets Jaunes ?
Et c’est alors que Facebook et Youtube deviennent les alliés très involontaire de la contestation d’un ordre économique et financier aussi crapuleux qu’immoralement égoïste et lâche.
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"Toute organisation avant la lutte se substitue à la lutte "
Mouvement insaisissable et irrécupérable, conséquent et cohérent, ingérable par la classe médiatique, politique et syndicale sinon dans la calomnie et le procès d'intention à peine dissimulé, d’autant plus qu’aucune récupération positive n’est possible puisqu’aucun acteur d’une démocratie croupion, non-représentative, n’en a ni la légitimité ni la carrure ni l’autorité pour le faire - en effet, si les années passées avaient pu prouver qu’il en était autrement, jamais ce mouvement des Gilets Jaunes et ceux qui les ont précédés n’auraient vu le jour -...
Si le premier parti c’est l’abstention, en revanche, nombreux sont ceux qui, localement, sur le terrain, sont prêts à s’opposer ; ne pas ignorer non plus ces micro-luttes tout au long de l’année, impliquant certes peu de participants, très circonscrites et qui ne bénéficient pas d’une couverture médiatique régionale ou nationale susceptible de mettre à jour une réalité ignorée, n’empêche, les habitants de nos territoires ne cessent de s’impliquer, de réagir, de se révolter face aux injustices et aux dis-fonctionnements : environnement, insécurité, fermetures d’entreprises, d’hôpitaux, d’écoles... et c’est bien là tout ce qui importe.
Prendre la rue pour demander non pas un coup de pouce du SMIC de 1% revendiqué par des syndicats qui ont intériorisé depuis des lustres les appels incessants des gouvernements pour « une attitude responsable » face aux contraintes économiques maintenant mondialisées… mais bien plutôt pour exiger des moyens qui permettent une vie décente... c’est faire la preuve qu’en dehors des partis et des syndicats d’une impuissance crasse et complaisante, il y a bien des solutions en terme de rapport de force.
A propos de la popularité du mouvement, ne soyons pas dupes : cette popularité des GJ a reposé dès les premiers jours sur le fait que tous les automobilistes avaient et ont besoin de mettre de l’essence dans leur véhicule ; que ce soit un 4x4 à 60 000 euros ou bien une épave qui, au moment d'être cédée, n'attirera que les casses autos.
Trop de taxes ? Artisans, commerçants, chefs d’entreprise… là encore, tous s’accorderont à dire qu’elles sont rédhibitoires ; du cadre supérieur au retraité au minimum vieillesse.
Salaires, retraites, fiscalité… les sondages qui ont confirmé dès les premiers jours la popularité du mouvement ont suffi (pour un temps seulement), à mettre sur la touche toute tentative de discréditer les Gilets Jaunes. Pour autant, les Gilets jaunes, certains du moins, ont très tôt compris qu’il leur faudrait ne compter que sur leur propre détermination car les classes moyennes encore solidaires ne tarderaient pas à demander que les Gilets Jaunes rentrent à la maison maintenant que les hausses de l’énergie ont toutes étaient annulées (essence, gaz, électricité) ; hélas, les GJ ont sans doute tardé à se préparer à faire face à une hostilité croissance des médias ainsi qu’au ralliement de toute la classe politique aux appels à l’ordre du gouvernement une fois confirmée la baisse de soutien et de sympathie à leur endroit.
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Qu'à cela ne tienne !
Décidément oui ! Ce mouvement Gilets Jaunes aura été, tout en le demeurant, une bonne nouvelle ! Car l'action des Gilets Jaunes permet de sortir d’une vision utopique de la politique (on sort du somnambulisme et on entre en action) le plus souvent cultivée par des acteurs pour lesquels rien ne presse, une utopie de nantis, utopie complaisante et candide face à des résistances d’une force et d’une détermination sans faille - celle de tout un personnel politique qui ne lâchera rien et certainement pas des plans de carrière tout tracés.
Autre bonne nouvelle : paradoxalement, le mouvement des Gilets Jaunes et tous les mouvements qui l’ont précédé (Bonnets rouges, Notre dame des Landes) ont prouvé que l’on devait, que l’on pouvait enfin se passer du soutien des élus, des médias et des syndicats pour arracher ce qui doit être obtenu, car seule importe une mobilisation locale et/ou nationale de terrain, en fonction des situations et des injustices à combattre ; injustices ou dis-fonctionnements préjudiciables à la qualité de vie et à la notion d’égalité des droits.
Car enfin… à l’heure de la mondialisation, qu’est-ce qu’il est raisonnable d’espérer ? La réponse : rien dans et par les urnes mais tout sur le terrain. Aussi, laissons le personnel politique d'une pseudo-représentation en forme de théâtre d’ombres là où il n’est pas et là où il ne sera jamais ! Un personnel qui représente moins de 25% de l’électorat et dont tous les membres sont élus par défaut ou bien à la majorité d’une minorité de votes exprimés ; la véritable majorité étant l’abstention.
En revanche, tout est possible ou presque, dans l’action en temps réel : ce que confirme les actions du mouvement des Gilets Jaunes et de tous ceux qui les ont précédés durant ces 30 dernières années.
ll faut donc tendre vers l’identification et la résolution des problèmes à un échelon local, même face à des décisionnaires situés hors de ce périmètre. N’est-ce pas ce qu’ont compris les Bonnets rouges et le mouvement Notre Dame des Landes ?
Si les super-structures (la commission européenne) et les hyper-structures (marchés financiers, banques, institutions internationales et acteurs du projet mondialiste) sont hors d’atteinte, en revanche, leurs politiques ont des répercutions locales, fatalement ; et c’est à cette échelle-là qu’il faut les combattre en prenant pour cible la représentation politique et tout l’appareil d’Etat : maires, conseillers, président de département, de région, préfecture (les agriculteurs savent faire ça !), direction départementale de l’équipement.... conseil général, conseil régional....
Car, si l’on n’échappera pas au mondialisme, en revanche on peut agir localement et nationalement contre les décisions d'une classe politique dont la carrière (et celle des médiacrates) dépend de la bonne marche des affaires générées par ce mondialisme.
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Les Gilets jaunes, les Bonnets rouges, les activistes de Notre dame des Landes ont apporté la preuve que le lieu de l'expression d’un rapport de force en faveur de la justice sociale, de l’égalité des chances, de l'écologie et d'une vie décente n'est plus à l'Assemblée, et le pouvoir (pouvoir de décider et non le « devoir d’obéir ») ni à Matignon ni à l’Elysée. Et c’est la meilleure des nouvelles, une grande nouvelle : aussi, en ces temps de fêtes et d’allégresse… faisons résonner un Alléluia franc et massif !
Peut-on espérer que les Gilets Jaunes dans leur ensemble sauront évaluer à sa juste valeur mais sans complaisance ni relâchement l’importance de cette révélation car, ce qui ne doit pas pour autant être remis en cause ce sont la nécessité et l'exigence suivantes : que les Gilets jaunes n’oublient surtout pas leur colère.
Dévoilement, révélation d’un effondrement moral, intellectuel et culturel sans précédent, perte du sens des responsabilités chez les journalistes et les élus, devoirs civique et citoyen mis au rebut par ces derniers… la grande richesse de ce mouvement Gilets jaunes, son apport inespéré, c’est son caractère épiphanique : la révélation de ce qui est, de ce que les médias, les Intellectuels, les élus (si mal élus !), les centrales syndicales sont devenus ; révélation de leurs motivations réelles et de leur niveau d'engagement à tous et pour quel profit et pour qui ; révélation du vrai visage de notre République : cette gueule cassée, borgne, énuclée de ses classes populaires et du souci d'une justice sociale pour tous ; révélations qui nous apportent la confirmation, au-delà de toute erreur possible, de ce que nous sommes nombreux à soupçonner depuis des années : l'organisation de notre société repose sur un seul et unique mensonge... la soi-disant recherche de la concorde et de la justice des conditions d'existence comme ultime projet... projet d'essence et d'esprit humaniste qui plus est. Et ce mensonge est arrivé en fin de vie. La catastrophe est maintenant proche.
En dernier lieu, reste à expliquer à propos de la violence sans précédent depuis la Guerre d'Algérie - violence sur le mode de la terreur -, des forces de l'ordre dès la première manifestation Gilets Jaunes de novembre 2018 - manifestation qui a déployé, entre autres, un grand nombre de femmes d'âge mûr ainsi qu'un grand nombre de retraités, majoritairement primo-manifestants -, ce qui suit : COMMENT l'Elysée et Matignon ont-ils compris dès le premier rassemblement que "ces gens-là, que ces manifestants-là en particulier, que tous ces GJ ne doivent en aucun cas revenir la semaine prochaine ni à aucune autre semaine..." ? Oui, comment donc ?
Les forces de l'ordre auront carte blanche : tout leur sera permis. Les Gilets Jaunes perdront très vite le plus gros de leurs troupes, notamment la plus âgée, les uns choqués, les autres traumatisés par la violence de la répression.
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PS : Doit-on pour autant conseiller aux GJ de revenir vers les urnes à toutes les élections qui vont se succéder ? Que ceux qui n'ont jamais voté ou qui ne votent plus, votent ? Car, semble-t-il, seule la peur chez les élus LREM les forcera à faire pression sur Matignon et l'Elysée : peur de la sanction électorale, des centaines de mandats en danger... locaux, nationaux et européens … tout en gardant à l'esprit que tous les partis sont aujourd'hui permis car, qui veut la fin veut les moyens...
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