14 Novembre 2019
Ce dernier long-métrage de Philippe Faucon, sorti en février 2012, se propose de filmer le délitement relationnel, sociétal, familial et individuel.
Sans vision manichéenne, ni schématique, avec un réalisme épuré (proche des Frères Dardenne), loin de toute caricature stigmatisante ou d’une complaisance angélique, sans slogan réducteur et caricatural, par le seul moyen du cinéma, le film de Faucon suit étape par étape le parcours de trois jeunes lillois qui basculent dans le terrorisme, embrigadés dans une cellule islamiste radicale, jusqu’à la perpétration d’un attentat au siège de l’OTAN à Bruxelles.
« C'est pas le film qui craint, c'est la France »
Trois jeunes lillois donc : Nasser fuit la police à la suite d’une agression. Nico-Hamza est un petit Blanc en perdition. Quant à Ali, titulaire d'un Bac pro en mécanique, issu d’une famille ouvrière traditionaliste, intégrée et aimante, aux parents épuisés par le travail, il se voit systématiquement refuser toutes ses demandes de stage.
Figure charismatique engouffrée dans la brèche de l’échec d’une République discriminatoire, arrive alors Djamel, un recruteur de la cause djihadiste à l'affût de tous ceux qui semblent n’avoir plus rien à perdre. L'aura indéniable des endoctrineurs, leur rhétorique d’une efficacité redoutable rappellent sans aucun doute celle des sectes ; magnétisme de la voix... ils ont souvent une diction très calme, voire très douce, une diction destinée à masquer une finalité violente, cruelle et sans pitié.
Style frontal et sobre, limpide et franc, précis et sec, admirateur de Bresson et de Pialat, Faucon raconte avec clarté et simplicité la désespérance qui se mue en colère : société, destin individuel et famille, le titre du film désigne la désintégration d’une partie des classes populaires issue de l’immigration arabo-musulmane : violences sociales, désœuvrement, foi religieuse exacerbée et compensatrice, faiblesse morale, pessimisme…
Dépouillé et concis, le film va à l’essentiel en 80 minutes et au bout de son propos : poser les questions qui importent : pourquoi un tel regain de l'Islam sur le sol républicain ? Pourquoi, en son sein, cette montée en puissance du fondamentalisme qui l'instrumentalise à des fins politiques ? Pourquoi, enfin, de jeunes gens issus des banlieues, de nationalité française, répondent à l'appel de ses sirènes ?
On connaît la part prépondérante de l'engrenage qui encourage le repli identitaire et fait le lit de tous les extrémismes : chômage, pauvreté, humiliation, discrimination sociale et ethnique, trahison des idéaux républicains et démocratiques.
Il est vrai que l'on pourra toujours se consoler avec ce constat : l’intégrisme virulent n’est certes pas une fatalité chez les populations arabo-musulmanes même en comptant avec l’ambivalence chez tout citoyen français issu de la colonisation et/ou de l’immigration de ses sentiments à l’égard de son pays d’adoption ainsi que cette autre identité dont il lui faut assumer bon an mal an l’héritage ; difficulté à la racine de laquelle on trouvera un pays des origines dont les mœurs, us et coutumes peuvent lui sembler étrangers, et parfois même, pays de la honte, corruptions, injustices sans nombre, pauvreté et parfois misère que des médias impitoyables, sans retenue ni nuances ne manqueront pas de relayer jour après jour…
Et alors que ce Français du Maghreb ou d’Afrique noire aura pour principal référant la figure tutélaire d’un homme blanc au passé colonial couvert d’opprobre - telle est du moins la représentation qui lui sera proposée de ce passé détestable -, tout en restant confronté, encore et toujours, à cette identité des origines, qui peut nier le fait suivant : derrière chaque adoption il y a toujours un abandon, et plus encore lorsque l’histoire et la culture de cette famille des origines sont jugées par toute la société - et parfois par l'intéressé même -, infréquentables ; car, si l'on n'a qu'une seule famille - celle qui aurait dû être la sienne -, pareillement, on n'a qu'un seul pays : celui qui aurait dû être le sien.
Aussi... est-il important de reconnaître en toute bonne foi et en toute lucidité… qu’il est très certainement plus facile aujourd'hui de se lever le matin quand on est un Européen avec pour références la sagesse de la Grèce, la grandeur de Rome et la splendeur des cathédrales et de la Renaissance.
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Dense et tranchante, La désintégration à la Philippe Faucon ne traite pas tant du terrorisme ou de l’islamisme que d’un modèle républicain au coeur de pierre, gravé dans le marbre, plus idéologique que pragmatique, avec ses prêcheurs décidément toujours pas payeurs qui ne se reconnaissent le plus souvent aucune obligation de résultats ; modèle obstiné et têtu dont le credo aussi hypocrite que rigide n’a semble-t-il qu’un seul projet depuis quarante ans : le rejet de millions de Français à l'heure où des politiques économiques plongent des classes populaires aux classes moyennes, toutes les sociétés occidentales dans une remise en cause intraitable des protections, et autres acquis sociaux, et des chances de progrès pour le plus grand nombre : concomitances historiques létales sans précédent au cocktail détonnant.