15 Novembre 2019
Le Club de la presse du Nord Pas de Calais a consacré "Les mardis de l'info" du mois de mai 2014 à un débat sur les petits blancs avec deux auteurs, Aymeric Patricot professeur en ZEP en région parisienne et Said Bouamama, sociologue.
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Saïd Bouamama à propos d'un système qui génère guerre et racisme avec Que faire la revue militante du NPA - c'était en 2010 :
Que Faire : Peux-tu rapidement retracer ton parcours militant ?
Saïd Bouamama : On peut le dater dès mes 14 ans, dans un quartier populaire de Roubaix. La crise n’est pas encore forte donc ça reste une ville ouvrière avec beaucoup de liens sociaux, avec une dynamique évidente. On est dans l’après 68 et les maoïstes arrivent donc dans les quartiers populaires de manière très offensive. Ils apportent quelque chose de particulier qui est d’autoriser à la révolte : une des premières phrases que je me rappelle c’est « on a raison de se révolter », ce qui correspondait exactement à ce qu’on se disait. Sur Roubaix cent jeunes issus de l’immigration avaient fini par adhérer soit à une structure proche des maoïstes, soit directement chez les maoïstes – le PC-MLF à l’époque, puis le PC-RML. En réalité ce qui nous intéressait le plus ce n’était pas le maoïsme, mais leur discours sur les milieux populaires : « arrêtez de nous considérer comme ne valant rien ». Il y avait une dimension de valorisation extrêmement forte qui nous a beaucoup plu. Deuxièmement, il y avait la question palestinienne qui a été très vite une question centrale pour nous. Et troisièmement ils nous incitaient à lire, et plusieurs trajectoires en ont été transformées : j’aurais été en échec scolaire comme la plupart de mes camarades si je n’avais pas croisé le chemin des maoïstes.
Et puis très vite ça a clashé sur une question de classe : nous n’avions pas leurs réflexes culturels, leurs goûts etc., Voilà le point de rupture avec les maoïstes : la rupture est née de ce décalage entre ce qu’on vivait, nous enfants d’ouvriers immigrés, et ceux qui prétendaient changer la société. Cela va rester pour moi un des points de vigilance permanents et donc d’engueulade y compris avec des camarades proches : dans le nord je travaille beaucoup avec des gens sortis du PC qui essaient de reconstruire quelque chose, mais en même temps je suis infernal avec eux sur cette question de base sociale : « qui va changer la société ? ».
Par la suite je m’investis dans la Marche pour l’égalité que je coordonne pour la région du nord, et très vite je suis confronté à l’état de la classe politique de gauche et d’extrême gauche telle qu’elle était à l’époque. Au sein de la même marche, il y avait deux marches : la marche des gens comme nous, de quartiers populaires, voulant dire basta aux crimes racistes, et la seconde marche, celle de tous les soutiens. C’est-à-dire qu’en gros il y avait d’un côté les Arabes et de l’autre, il y avait les blancs, de l’extrême gauche au PS, qui soutenaient l’idée que les jeunes issus de l’immigration que nous faisions uniquement une marche anti-FN. Ca a été la seconde leçon politique sur la trajectoire de mon parcours militant : la prise de conscience qu’il y a une distance d’analyse entre l’essentiel de la classe politique blanche et les autres autour de cette idée de nous mettre comme paravent au FN. Ca va déboucher sur le consensus autour de SOS racisme, de la LCR au PS en passant par le PC, par tout le monde. Entre temps, tout ça m’a donné envie de faire des études. Au fur et à mesure que j’avance dans mes études, je commence à m’intéresser à d’autres questions sociales et à ceux qui prétendent changer la société et je deviens marxiste, mais sans jamais pouvoir me retrouver dans les organisations existantes. J’avais cette espèce de schizophrénie entre d’une part le fait que j’étais persuadé que c’était le système capitaliste qui produisait l’ensemble des dégâts sociaux, et d’autre part le fait que ceux qui se revendiquaient du marxisme étaient incapables de prendre en compte la question des quartiers populaires, de l’immigration, et plus tard de l’islam.
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