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Le meilleur de Serge ULESKI : société, politique, art et culture

Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Plus de 18 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs, aujourd'hui sur Overblog... Durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous !

Claude Lanzmann, pour le pire contre le meilleur

                Billet de blog rédigé en 2010

             

 

Claude Lanzmann aura été confronté à trois peuples martyrs.

- Le Peuple juif dont il fait partie, le Peuple polonais et le Peuple palestinien. Or, de ces trois peuples martyrs, Claude Lanzmann n'en aura reconnu qu'un seul : son peuple ! Les Polonais et les Palestiniens n'étant à ses yeux que les bourreaux du peuple juif.

Là tout est dit ou presque ; et le mal est fait.

A l'écoute de Lanzmann, l'être humain n'en sort pas plus humain, ni plus juste et l'avenir certainement pas plus serein ; aucun profit pour la défense d'un humanisme universaliste sans distinction ; pour s'en convaincre, il suffit de se reporter aux agissements des uns et des autres autour du chantage et de l'instrumentalisation de l'antisémitisme pour mieux tenter de dissimuler le caractère indéfendable d'un soutien à un régime étranger dont il n'y a plus rien à sauver et ainsi "criminaliser" sur un plan moral toute contestation à son propos.

Force est de conclure que Lanzmann n'était concerné que par Lanzmann et sa "tribu". Précisément tout ce qu'il ne fallait pas faire car, alors, l'oeuvre de Lanzmann n'aura été d'aucune utilité ; en effet, elle n'aura pas permis de réconcilier toutes les mémoires ; celles de toutes les catastrophes humaines proches et éloignées.

              

                 A ceux qui s'opposeront à ce billet - nul doute, ils seront nombreux ! - on pourra leur préciser ceci : « Rassurez-vous ! Vous venez simplement de découvrir l’exercice que l’on peut faire de la liberté d'expression, à savoir : tout ce que vous n'auriez jamais pu souhaiter entendre et lire. » Manifestement vous n'en avez pas besoin de cette liberté puisque vous semblez penser ce que tout le monde pense sur un sujet quel qu'il soit.
 

 
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              Pas facile de se libérer pour re-voir Shoah de Claude Lanzmann. Je profite des vacances pour visualiser ce documentaire d’une durée de neuf heures trente qu'on ne présente plus et que je n'ai pas revu dans son intégralité depuis 15 ans.

Je m’installe : la projection devra commencer à 9h le matin car je sais - pauses incluses -, que j’y passerai la journée.

 

***

 

             Contrairement à ce qu'écrivait Simone de Beauvoir lors de la sortie de Shoah en 1985, (« Pour la première fois, nous vivons l’affreuse expérience dans notre tête, notre cœur, notre chair, et cette expérience devient la nôtre» - sans doute a-t-elle livré à la postérité ce commentaire à titre de prestation compensatoire : pour avoir été une planquée à Radio-Vichy, pendant l‘occupation. Allez savoir !) l'expérience de ce documentaire ne sera jamais vraiment la nôtre car, la chair indemne, on ne peut que demeurer spectateur.

Shoah, une commande de l'Etat israélien à Lanzmann,  nous montre des rescapés, des témoins, quelques bourreaux, et avec minutie : transport des déportés, convois, trains, camions, voies ferrées, routes, camps, topographie des lieux, organisation, identification, écoutes des victimes, visages, voix…

Si ce documentaire est un outil qui nous permet de comprendre comment la déportation d'un grand nombre de Juifs a été perpétré, à défaut d’un "comment cela a-t-il été possible et pourquoi ?" - les réponses à ces questions, c'est chez Arendt et Primo Levi qu'on ira les chercher -, au fur et à mesure de son déroulement, là, sous mes yeux, un autre malaise me saisit : le réalisateur semble profiter de l’opportunité d'un documentaire pour tenter subrepticement de faire le procès de tout un peuple (1): le peuple polonais (celui du Nazisme n’étant pas nécessaire puisque Nuremberg s’en est déjà chargé).

Absence de compassion et de solidarité, voire même… réjouissance à l‘idée de voir les Juifs de Pologne disparaître corps et biens ; au fil des minutes et des heures, ce documentaire semble s’orienter vers une tentative de mise en accusation du peuple polonais dans son ensemble : peuple pourtant occupé, vaincu et martyr, tout à la fois.

En effet, difficile de trouver, dans ce documentaire, un Polonais qui ne soit pas antisémite.

Plus souvent interpellés et gardés à distance de la caméra et du micro de Lanzmann que réellement interviewés, tout en cherchant à créer un climat propice à toutes les confessions de la part de Polonais très très moyens et vivant en milieu rural, Lanzmann n'a qu’un souci, à la motivation sournoise, subtilement mâtinée de mépris, plus proche du règlement de comptes que de la recherche d‘une quelconque vérité concernant la nature humaine : confier à ces quelques Polonais triés sur le volet, le soin de débiter des préjugés anti-sémites bien établis et ronflants, un rien pantouflards, insistant sans relâche, les relançant, s’acharnant lorsqu‘il n‘obtient pas d‘eux ce qu‘il croit devoir attendre et surtout, entendre...

               (Pour la traduction de ces séquences, nous avons fait appel à un ami polonais ; en effet, nous ne souhaitions  pas nous contenter de la traduction qui nous est proposée)

Certes, on nous objectera - ou bien alors on ne nous objectera rien, ce qui est tout à fait possible : Shoah n’est ni un travail de journaliste, ni un travail d’historien, ni d'intellectuel, ni…

Soit !

 

1 - Article sur la relation entre Lanzmann et un résistant polonais, Jan Karski qui collabora au documentaire Shoah à propos duquel il déclara en1986 : « Shoah, est une vision biaisée de l'Holocauste ; Lanzmann a fait en sorte que l’on ne puisse jamais voir un Polonais qui ne soit pas antisémite ».

 

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            Quelques années plus tard, avec "Tsahal", documentaire imbécile à la gloire de l‘armée du même nom (quand on sait que c'est l'occupation et la colonisation par l’armée de Tsahal de la Cisjordanie ! Occupation qui condamne le peuple israélien depuis 67 à ne jamais connaître la sécurité ni la paix), notre documentariste consacrera cinq heures à cette armée israélienne - armée culte à défaut de documentaire culte.

On aura même droit à pas mal d'âneries, du style : "Notre armée est pure (...), elle ne tue pas d’enfants. Nous avons une conscience et des valeurs et, à cause de notre morale, il y a peu de victimes [palestiniennes]"…

Non contradictoire, véritable outrage à la vérité factuelle, le plus souvent, ce film de propagande est d’un ennui ferme pour quiconque sait voir un tout petit peu plus loin que le bout de son nez… comme - mais ce n’est qu’un exemple -, être capable d'établir des relations de causalités tout en cessant de prendre les effets pour les causes ; et puis aussi, faire preuve de clairvoyance en étant à même, un tant soit peu, de les prévoir… toutes ces causes aux effets dévastateurs - et dans ce domaine, les précédents ne manquent pas : il suffit de se pencher sur l’histoire coloniale européen.

Intellectuellement faible mais... documentariste habile et déterminé, avec Lanzmann, une vision manichéenne du monde semble dominer, doublée d‘une vision à la fois presbyte et myope.

Aveugle Lanzmann ?

Directeur de la revue Les Temps Modernes qui prend aujourd’hui comme un sacré coup de vieux (ou d'ancien), l’engagement anti-colonialiste de Lanzmann (il fera partie des signataires du Manifeste des 121, qui dénonce la répression en Algérie de 1957), et la fréquentation de Sartre et de Simone de Beauvoir ne lui auront donc été d’aucune utilité et d'aucun secours… ou bien alors, cette dernière fréquentation serait-elle responsable de la cécité dont souffrirait Lanzmann ? Et c'est bien possible, après tout : relents de manichéisme stalinien dans la pensée de tout ce beau petit monde ?!

 

***

 

        Pourquoi hésiter à le dire ?! N'est pas Hannah Arendt qui veut ! Je pense à son étude sur les ressorts du mal et de sa banalité dont aucun peuple, aucune culture et aucun Etat ne peut prétendre être à l‘abri, sûr de son bon droit...

En effet ! Les cours d’assises et les cours internationales regorgent d’individus qui avaient tous de "bonnes raisons" de penser et d'agir comme ils l'ont fait.

Et là encore : n’est pas Primo Levi qui veut ! Son ouvrage "Si c'est un homme" explique, à la manière d'un sociologue, la déshumanisation, l’absence de solidarité et de compassion dans les camps, les stratégies et les tactiques machiavéliques - seules conditions pour assurer sa survie -, la culpabilité des survivants…

Nul doute à ce sujet ! Avec ces auteurs, c’est une nouvelle compréhension de cette nature humaine labyrinthique (et toujours innovante !) qu‘est la nôtre, qui nous est proposée : nature en trompe l'oeil, dissimulatrice, accapareuse et rétentrice, cruelle au besoin et toujours prompte à l’oubli.

 

***

 

          Lanzmann aura été confronté à trois peuples martyrs. Les voici dans l'ordre chronologique (liste non exhaustive, bien évidemment et puis… vous pensez bien !)

- Le Peuple juif auquel il appartient.

- La Pologne - cette Palestine européenne ! -, et les Polonais (2) : rappelons que résidait en Pologne la plus importante communauté juive d’Europe ; il aura donc bien fallu que la Pologne les ait accueillis à un moment ou à un autre tous ces juifs (au 15è siècle, ce fut fait), et que d'autres pays d‘Europe ne se soient pas trop pressés d‘en faire autant - quand ils ne les auraient pas tout simplement priés d’aller voir ailleurs si cela se faisait que d’être juif ; sans oublier les nombreux enfants des familles menacées d'extermination qui auront été confiés à des familles polonaises catholiques ; lesquelles se seront acquittées de leur responsabilité avec honneur.

Et pour finir…

- Le Peuple palestinien, un Peuple humilié, sans considération et sans droit qui perd toutes ses batailles  mais qui reste en vie et qui dure et ne cesse de durer, vaincu par un Etat colonisateur sans scrupules qu‘est Israël ; et l‘engagement si peu légitime et honorable  mais compréhensible de Lanzmann au côté de la politique de cet Etat.

       Or, de ces trois peuples martyrs, Claude Lanzmann n'en aura reconnu qu'un seul : son peuple ! Les Polonais et les Palestiniens n'étant à ses yeux que les bourreaux du peuple juif.

Arroseur arrosé, l’accusation portée contre les peuples polonais et palestinien pouvant lui être très facilement retournée, la Shoah aura fait de Claude Lanzmann un tartuffe de l’élévation de la conscience humaine, lui-même s’étant trouvé tout juste dans la moyenne (sinon, en dessous) quand il s‘est agi d’être capable de faire preuve de compassion, de solidarité et de compréhension envers les peuples polonais et palestinien.

Si l’expérience d’un Primo Levi et de quelques autres aura permis à ces auteurs de se hisser jusqu'à l'Universel, éclairant telle un phare notre conscience, réveillant telle une semonce cette même conscience propre aux humains - ce dont l’Humanité a tellement besoin ; elle qui ne cesse d’osciller entre sainteté et démons pour finalement trouver un équilibre dans un entre-deux toujours précaire, en revanche, Lanzmann n'aura pas échappé à cette règle, décidément récurrente, qui fait de l'être humain un être à la compassion intermittente et sélective...

Car, confrontés au travail de ce documentariste, ce dont il nous est demandé d’être les témoins c'est de la chape de plomb d’une conscience humaine universaliste absente et du triomphe de l'égoïsme et d'une haine à peine contenue, dans une vision communautariste à la raison débilitante...

Contre le poids plume d'une humanité capable de réconciliation et d’accalmie dans une élévation qui laisse loin derrière elle une bêtise revancharde, fruit d'un ressentiment stérile, castrateur de toute pensée et de son développement, la privant de maturation et de justesse.

        Souvent présenté en France comme un intellectuel jouissant d'une autorité qui se voudrait morale, comment ne pas voir en Claude Lanzmann un documentariste partial, vindicatif, manichéen et partisan du plus petit commun dénominateur qui soit : celui de "La communauté" (3) comme seul espace digne de considération : unique espace d'épanouissement, de développement - et de jouissance, au sens lacanien.

 

2 - Se reporter à l'ouvrage de l'historien Timothy Snyder :  Terres de sang ainsi qu'aux événements de l'Insurrection de Varsovie et au film "Kanal" de Wajda en 1957 : des Polonais de tous âges entassés dans des caves brûlés vifs au lance-flammes ou bien gazés dans les égouts de Varsovie.

3 - A ce sujet, difficile de ne pas penser aux alliances consanguines ; et dans le cas qui nous occupe, on parlera d’endogamie avec pour conséquences, des risques accrus de dégénérescence… intellectuelle : augmentation des risques d’infertilité et de cécité pouvant conduire une communauté au déclin (le XXIè siècle sera-t-il le siècle de ce déclin ?) ; on aura à l'esprit des domaines d’exceptions tels que les sciences, la philosophie, les arts..., domaines réservés le plus souvent à des individus intellectuellement et culturellement assimilés (Le génie d'Einstein est inconcevable sans le travail scientifique de ses prédécesseurs, non juifs, et l'assimilation de leurs contributions par ce même Einstein) ; tout en gardant à l'esprit que le risque de dégénérescence est plus grand encore après  le génocide des nazis et la création de l’état d’Israël qui ont eu pour effet d’augmenter le niveau de conscience d’être juif au présent.

 

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      Rony Brauman : Arendt, Eichmann et Lanzmann

 

  Au sujet de la relation Lanzmann - Simone de Beauvoir...

Tragique ironie !

L’acharnement aveugle d’un Lanzmann dont la démarche - comme nous avons pu le voir -, semble le plus souvent plus proche du règlement de comptes que de la recherche d‘une quelconque vérité concernant la nature humaine, cacherait-il une culpabilité inconsciente eu égard à son attachement à une Simone de Beauvoir (sans oublier Sartre) qui, pendant l’Occupation, et alors qu'elle est employée à Radio Vichy, incarnera à la perfection cette classe privilégiée et éduquée restée supérieurement indifférente aux lois anti-juives ?

Lanzmann aurait alors partagé la couche de son bourreau  ? 

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