Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr
30 Octobre 2025
Songe des mystiques : le tout et la fin de tout
Rien dans sa vie n’aura égalé cet instant. Plus d’amertume, finie la peur. Comme pour le monde végétal pour lequel naître et mourir n’est pas le seul voyage auquel la nature le destine, un autre parcours l’attend maintenant sur une durée et une distance infinies, elle, tellement légère, débarrassée de tout, capable enfin d’une respiration régulière et apaisée.
D’un moment à l’autre, un drap de lumière viendra l’envelopper ; un drap déployé par un soleil qui a percé le froid : hôte inattendu, ce soleil digne du plus bel été pour un dimanche otage d’un hiver qui vient à peine de commencer. Elle est arrivée à la vérité d’une farce macabre dont la nécessité nous échappera toujours : celle de la vie. A d'autres maintenant de porter son mystère et ce fardeau d’un rien, ou pour si peu, et qui pèse de tout le poids de son existence.
Et comme une lente montée des eaux, c’est alors que vient la consolation, à rebours de ses dix dernières années, les dernières. Insoupçonnables ces années ! Une grande gifle ces dix années pendant lesquelles tout aura été si difficile, tellement difficile ; dix ans, sans fin, interminables. Infernale aurore. C’est dans l’espérance d’une grâce tant attendue, et sous sa lumière, qu’elle accède pour la première fois à la consolation.
Elle part à la dérive. La mer et son ressac s’impatientent. Elle découvre la force de la clarté comme on sort d’une longue maladie. Pâle mais reposée, c’est de plein fouet qu’elle reçoit cette consolation inespérée, goûtant là une félicité insoupçonnable voilà une semaine, voilà une heure.
Plus rien à déplorer. Plus de révolte, plus d’amertume ni de ressentiment. La honte s’est évanouie et le monde s’est dissout en elle, le visage aérien. Et son corps ! Dentelle encore fragile, bouchon insouciant bercé par une eau calme qu’un courant emporte lentement, sans tumulte, sans fracas, sous une brise dont le baiser et la caresse amicale sur sa joue l’ont conquise et la comblent ; et c’est maintenant qu’elle accueille cette brise fraternelle pour mieux tendre l’autre joue avant de lui adresser un large sourire.
Alors oui : la consolation, lourde de tout ce qu’elle n’aura pas su s’offrir, faute d’une application assidue et raisonnée, privée de repères, sans éclairage pour la guider, le plus souvent dans l’obscurité, à tâtons, sans trébucher certes ! mais sans jamais trouver une voie sûre – du moins sans jamais la reconnaître comme telle –, car... en deçà cette voie, ce chemin alambiqué et impraticable ; en deçà de ses attentes, tantôt confuses, tantôt inopportunes et irréalistes.Toujours !
Finie la prudence de l’âge adulte ; cet âge qui lui faisait entrevoir et craindre le pire. Tout s’impose à elle qui donne son assentiment à tout ce qu’elle reçoit. Lascive, c’est dans cet acquiescement, dans l’éclat de cet instant unique et dont les traits sont plus aigus que tous les autres, plus fins aussi, qu’elle devine ce qui l’attend : l’absence de tout, enfin inutile. Ni proie, ni ombre ; sans plus d’offense à souffrir. Sans aplomb, sans voix.
Immense cette consolation ! Une reddition spectaculaire dans son apaisement, cette consolation ! Il suffisait d’y penser : la réponse à tous ses maux était là, à sa portée, tout près, si près, en son centre à elle. Parfaite cette consolation dans l’immensité lumineuse d’un beau dimanche après-midi.
Une ombre l’aspire dans un entonnoir géant. Sa conscience se dissout dans des espaces sans consistance. Finies les prières, les incantations ! Le mouvement s’accentue. L’aspiration se fait plus violence. Par bribes, ses souvenirs la quittent. Sa mémoire s’efface. Elle n’est plus de ce monde ; elle a fui tout ce qu’il avait de mortel pour voyager plus léger et s’envoler plus haut encore. Et c’est bien une autre vie qui se forme en elle maintenant ; une autre vie et une autre exigence, une autre nécessité impérative qui l’enveloppent.
Son désastre n’est plus. Maintenant hors de danger, il ne lui reste plus rien à pleurer. La masse de son émoi gémit encore mais au loin, paisiblement et puis, profond comme une voix de l’intérieur : celle d’un apaisement qui s’ouvre jusqu’à toucher l’extrémité de toute vie ; une plénitude inédite, loin de l’immense gâchis de la souffrance et de ses déchets.
Suspendue dans un vide inintelligible, toute angoisse évanouie et avec elle le vertige de la terreur, plus rien ne peut l’atteindre. Elle s’efface exténuée par un assouvissement puissant sous un ciel plein d’une couleur d’un réconfort aussi inattendu qu’indéfinissable. Elle a longtemps cherché la lumière ; elle l’a longtemps attendue. Voilà qu’elle arrive. Elle pénètre le centre, dans le cœur d’une fusion totale avec l’absolu, là où la conscience efface tout d’un trait.
Un dernier vertige ! Dernière ligne de fuite. C’est le trou noir. Elle a tout effacé, tout achevé. C’est la voie royale. Plus rien à porter, ni le poids du passé, ni les angoisses de l’avenir. Elle s’est délestée de tout. Elle se liquéfie, elle s’évapore, adolescente, enfant, tout juste née, à naître, jamais née. Le monde n’a pas commencé finalement. Elle touche à la sainteté comme on touche au sacré. Tout est accompli. Elle a tout gagné, tout raflé en une seule fois !
Détonations ! Fracas ! Plus rien ni personne ne peut la retenir. Elle s’est décomposée en fragments d’éternité, mille particules d’étrangetés. C’est le carnaval des dieux et des âmes soulagées. Une voie resplendissante s’ouvre devant elle, bordée d’éclats de toute beauté ; candeur du soleil, de ses rayons, de sa lumière et de sa chaleur venus irradier son désarroi ; elle y court, elle y vole. Elle part. Elle s’en va, et là où elle se rend, personne ne pourra l'y accompagner. Des messages fulgurants lui sont délivrés. Elle n’est plus seule ; nombreux sont ceux qui l’entourent ; d’autres encore l’attendent. Des figures humaines au loin se détachent.
Procession ! Ils approchent lentement. On les compte par millions. Elle n’a qu’un désir : les rejoindre au plus près de leur lenteur céleste. Cortège ! Son écume la frôle et l’enveloppe maintenant. Enivrantes, son emprise et son étreinte.
Elle s’élève rayonnante. Elle est emportée, allègre. Tout est joie, sourires, éclats de rires jusqu’aux larmes… et quels rires… et quelles larmes… et…
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Elle a disparu. Ici, elle n’est plus.
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… Alertés par l’un de ses enfants, son fils Guillaume qui se trouvait sans nouvelle de sa mère depuis deux semaines, la concierge de de l'immeuble a frappé à sa porte. N’obtenant pas de réponse, elle a sollicité la police qui a forcé la porte de l’appartement avant de trouver dans l’entrée, une femme étendue et inerte ; la position du corps laisse penser qu’elle a très certainement tenté de sortir sur le palier pour demander de l’aide.
Le décès remonte à deux semaines. Elle se nommait Michelle Delcourt. Divorcée, mère de trois enfants, elle vivait seule. Elle était âgée de cinquante-huit ans.
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Extrait du titre : La consolation - copyright Serge ULESKI
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