Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr
4 Mars 2025
Tout a disparu et la lumière s’est éteinte. Mais comment me débarrasser des doutes et des illusions qui me poursuivent encore ? Mon esprit inscrit sur le tableau de l'école des hypothèses et des équations fantaisistes. C’est l’espoir mathématique qui renaît une dernière fois, avant de sombrer. Dans ma tête, une buée se dissipe et tous les événements se mettent en désordre dans le temps et dans l’espace. Je glisse irrésistiblement sur une pente. Je glisse encore. Je n'en finis pas de glisser. Les parois sont hors de portée. Rien pour m’accrocher. Mes yeux dans un regard tendu, cherchent désespérément un dernier sauvetage. Et puis, soudain... et puis, tour à tour...
Accès de nausée. Quelqu’un m’observe, raide et insensible. Je touche à la colère comme on touche à la folie. Alors, je vous le dis : "Je ne suis plus d’humeur à converser. Gardez vos bavardages et sortez tous ! Je ne veux plus voir personne ! Jamais ! Jamais plus !"
Une impasse gigantesque s’ouvre devant moi. Mais quel cul-de-sac, cette impasse ! Un abri ! Vite ! J'ai soif d'étanchéité, de brèches colmatées, de réclusion, d'isolation, de rétention dans un isolement hermétiquement impénétrable et silencieux ! Vite !
Dans ma tête se dresse un escalier en colimaçon. Je pense mais par à-coups, comme on monte des marches, l‘une après l‘autre. A chaque palier, je fais une pause et puis soudain, c'est le trou noir. Bientôt une lumière éclatante d’épouvante d’une puissance exceptionnelle me fermera les yeux.
Mais… où et comment trouver quelque chose à leur dire ? Comment m'y prendre pour lâcher le morceau et leur jeter en pâture de quoi aiguiser leurs dents ?
Je n'ai jamais rien pensé. J’ai tout observé et tout ressenti comme une bête. Je n’ai rien calculé, incapable que je suis d’additionner quoi que ce soit avec qui que ce soit. Imbécile, je suis ! Imbécile, je demeure ! Mais... attendez ! Je crois que... j'ai quelque chose ! Attendez une seconde ! J'ai... ou bien alors... à moins que... et puis, non. Fausse alerte ! Rien à dire. Rien à confesser. Qu’importe ! Je leur parlerai de mon dernier repas, celui qu'ils m'ont servi, voilà deux heures ; j'évoquerai la pluie par beau temps ; je leur raconterai le film à la télé et puis, dans une dernière tentative désespérée, j’irai et sans qu'on m'y invite, torturer ma propre mémoire poussé par le besoin de me faire pardonner, mains tendues, tressaillant sous chaque coup de fouet, à la recherche de toutes les connexions manquantes comme des chaînons brisés et rompus à tous les exercices d'une parole extirpée. Pressuré, ma tête s’affaissera et leurs voix s’enfonceront dans mes oreilles saturées. Et puis, couvert de honte, je sais que je signerai tout pour qu’on me laisse dormir. Perdu dans un labyrinthe, celui du comment et du pourquoi, tentant de séparer la réalité de l’illusion, je signerai tout une seconde fois car je n’aurai finalement rien à dire... rien à confesser, rien à balancer, rien ni personne, sinon... mon corps... mon corps...
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Dieu ! Toutes leurs tortures ! Et sous toutes les coutures, à l'envers, à l'endroit et point de côté ! Je suis la victime inaugurale de ce nouveau siècle qui ouvre devant nous les portes d'un laboratoire actif et performant. De moi, on ne saura rien : ni mon nom, ni mon âge. Rien ! Pas de monument en érection ! La queue basse, minable et sans légende, sans discours, sans hommage et sans sépulture, choisi pour le sacrifice suprême, je serai voué à un anonymat définitif après avoir vécu dans l‘oubli : une mort abstraite que ma mort !
Non identifié, insensé et insignifiant, privé de sens, je m’apprête à faire le don de mon corps, victime d’un rapt humain qui défie toutes les lois humaines.
Saccagé, débouté, violé, sans sépulture, qui versera une larme ? Qui m’enterrera demain quand tout sera fini ? Désincarné, sans objet et sans plus d’utilité, innommable. Qui m’exhumera dans dix mille ans ? Effacé des mémoires, qui ira, hagard, errant, rechercher dans le cratère des bombes silencieuses de cette nouvelle science comme une chienne ses petits, mes restes ? Qui, avec une insistance têtue, demain et pour les siècles à venir, tentera de retrouver mon nom et mon visage ?
Une femme folle de rage fouille une décharge de déchets et d'ordures, à la recherche de sa progéniture. Au point le plus élevé d’une crête, un monument d’immondices surplombe des rires d’enfants sauvages et fous. L’opulence de la misère humaine tournoie dans les airs. Une montre en or me donne l’heure du départ et la lune qui vient s’y refléter, dessine dans son cadran, un croissant en forme de serpe aiguisée, toute de sang et... rouge comme un coucher de soleil, cette lune posée sur une dune de sable, indifférente à tout... c’est le tarissement de la vie qui a commencé et la récolte se fera sur un terreau stérile. Privés d'ossements, les archéologues n’exhumeront plus que leurs frustrations. Bredouilles, ils pousseront des brouettes vides de mémoire, pelles et pioches désœuvrées sur leurs épaules. S'ensuivra, pour ceux qui me succéderont, une vie sans douleur, une vie longue et sans illusions.
Vivre jusqu’au bout ! Vivre et laisser crever sans jamais voir et laisser voir ceux que l’on tue et que l’on fait crever, pour vivre encore et toujours le plus longtemps possible. Cette vie-là sera alors glorifiée et sanctifiée par toutes les sciences du vivant et ce sont elles qui conduiront le cortège et qui prononceront l’oraison funèbre car, la longévité sera le seul critère pour juger de la qualité d‘une vie ; on aura bien vécu parce qu’on aura vécu longtemps et plus longtemps que son voisin : “Cet enfoiré ! Il n'a pas vieilli comme moi et aussi longtemps que moi. Je lui ai survécu, à ce salaud !”
Mais, je vous le dis ! La mort n'aura aucun poids sur moi ! Ma respiration est unique. Je suis d'une tout autre hauteur de vue. Alors... repentez-vous ! Vite ! Repentez- vous ! Je sais tout mon malheur et le vôtre aussi : celui d'hier et de demain. Celui qui nous a enchaînés et celui qui nous étranglera pour nous laisser sans voix et sans recours comme le collet autour du cou de cette pauvre bête, effarée et tout agitée, à trop vouloir lutter coûte que coûte...
Confessez-vous et repentez-vous ! C'est votre dernière chance ! Allez ! Implorez mon pardon !
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Ils ne m'entendent pas. Inutile d'insister.
Réalité épineuse. Sur la droite : c’est le chaos. Sur la gauche : c’est la peur. Quitte ou double ! L’inconnu ? Mille ans ou... cent ans, cinquante années à venir comme un châtiment, une punition, un fardeau que l’on porte sans destination et sans fin. Mais… peu m’importe !
Ivresse mystique ! Un cheval détale sur un sentier boueux en longeant le mur du château. Campagne acide sous un ciel dégagé et neutre et dans le verger avec ses fruits qui pendent et que personne ne cueille. Vagabondage au bord de l’eau stagnante des étangs sourds et muets au fond desquels des enfants jouent à la marelle à l‘abri des regards indiscrets et compatissants ; une mousse vert-de-gris et poreuse, trempée de larmes intarissables à la lisère de la forêt, et au-delà, des gouffres d’horizon, des nuages, des éclairs et le tonnerre se rencontrent, s’assemblent, incestueux et sans remords. Des branches chassées par la pluie se jettent sur moi. Je me couche là où l’on peut trouver un abri : au fond des grottes des vieux ermites et des sorcières bannies, dans les ravines et les torrents infestés de rumeurs.
Les pieds dans les ronces, je suis parti trop loin, trop vite ! Trop tard pour rebrousser chemin. Je me suis emporté et jamais, je ne serai rentré assez tôt et à temps, pour être à l'heure ! Oui ! A l'heure ! Cette heure à eux tous ! Heure qui n'est déjà plus la mienne.
Dans l‘âpreté des sentiers qui n‘en finissent pas de monter, comment trouver le chemin du retour ? Un refuge pour la nuit ; un abri sous des racines... vais-je pouvoir y dormir ? Mais où dorment tous ceux qui se sont égarés et que plus personne n’attend à l’heure du dîner car ils ne valent même pas une soupe refroidie ? Où donc ?
Eh bien moi, j’irai les rejoindre tous ces monstres cachées, ces sorcières qui allument des feux pour éclairer leurs prières obscènes ! Incantations au fond d’un chaudron boueux et crasseux et dans la chaleur moite des marécages obstrués qui étouffent et se meurent lentement dans l’indifférence des oiseaux migrateurs qui ne verseront pas une larme au passage de leur vol qui me guide sur la route des bosquets, des baies et des roses rouges d’un voisin soupçonneux et vigilant...
Ingénuité ! Ca y est ! Pas vu, pas pris ! C’est un bouquet qui t’accueille et moi qui bégaye et qui bafouille. Une plage maintenant. Chaudes larmes pour une éternité sur les dunes coiffées d’herbes hautes et tranchantes comme des couteaux aiguisés ; dunes d’immenses vues qui accumulent des provisions de sable, toujours plus loin, derrière la digue, toujours plus haut, près des canaux géants qui avalent tout au passage. Et puis, nous deux, enfants d’un luxe inouï, celui de pouvoir s'agenouiller sans perdre sa dignité, pour mieux déclamer mille paroles insensées dans un monde qui chez les grands, n’a jamais existé, sinon dans les mémoires mutilées de ceux qui ont vieilli désœuvrés, assis dans des fauteuils moisis, seuls, les bras ballants, le regard vide et lointain... loin devant, à scruter l'horizon bouché d'une mort sans pleurs et sans voix.
Je te supplie de me laisser danser sur les dunes avant de dévaler la pente à bout de souffle, haletant comme une bête traquée car c'est Mardi-gras ! Un Mardi-gras avant le carême rabat-joie, copieux et fertile avec ses perruques poudrées et ses costumes improvisés à la hâte ! Grande et longue parade ! Enfantillages ! Bouffonneries ! Et le goût d’en rire et de chahuter ! On interprétera des pièces et des chansons ; pas celles de l’école mais les nôtres. Pour un temps, on sera jongleurs et comédiens sous le regard maternel qui n’a pas fini de nous surprendre et de nous punir si les choses tournent mal dans le garde-manger et au vinaigre de toutes les conserves interdites et cachées dans la cave, là où des fantômes infanticides font leur ronde de jour comme de nuit, près des bocaux occultes qui s'entassent, arrogants et énigmatiques sur des étagères branlantes. Toi et moi, on ira s'y cacher. Tu me diras ce que je n’ai pas su te dire. Oui, toi que rien au monde ne fera rougir car tu n’as jamais eu froid aux yeux. Et puis, une fois les épreuves terminées... nouveau tour de passe-passe féerique ; j’ai dix sept ans et c’est mon corps que l’on porte en triomphe : “Hourra ! Il a réussi !” Tout va bien alors ! Oui ! Tout va bien… si tant est que tout aille pour le mieux quand on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve...
Allez ! Tuez tous nos vœux ! Élevez des barrages infranchissables pour dissuader quiconque de faire un premier pas dans cet inconnu ! Tuez donc cet avenir indigent et pour commencer : la jeunesse et son insouciance misérable ! Allez ! Tuez-le donc ! Tuez-le cet avenir et cet inconnu ! Tuez-le !
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Silhouette de polichinelle ! Un frisson d'épouvante accompagne le battement d'ailes d'un papillon de nuit qui lutte contre le jour qui va naître... sans lui.
Copyright Serge ULESKI
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Pour prolonger, cliquez : Des apôtres, des anges et des démons - synopsis et entretien avec l'auteur