Overblog Tous les blogs Top blogs Politique Tous les blogs Politique
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Le meilleur de Serge ULESKI : société, politique, art et culture

Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr

Publicité

Serge ULESKI en littérature : La consolation - extrait

 

         Où est la majesté de l’être humain une fois dépouillé de sa beauté que sont l’intelligence, la force et la responsabilité – fondements de sa liberté ?

 

         Un matin, dans le miroir de la salle de bains, et

alors qu’elle se préparait pour se rendre à son travail,

elle a vu dans son regard comme une absence, un

manque et une ombre : sa vie. Vie qu’elle a tant de

mal à atteindre et à saisir d’une main ferme et

décidée, impuissante, semant devant elle, depuis

plusieurs mois maintenant, ses propres 

contradictions ; et dans ce même regard, elle a

reconnu l’image d’une existence irréelle et exténuante

qui semble n’être plus capable que de vivre dans et

pour l’attente de ce qui ne viendra pas, ou jamais, ou

bien trop tard.

         Soudain, une évidence lui saute à la gorge d’un

seul bond : s’il lui restait une semaine à vivre, qu’en

ferait-elle ?

         Elle ne changerait rien puisqu’il n’y a rien à saisir, rien à interrompre, rien à commencer ni à reprendre : il n’y a rien ni personne. Elle ne songe plus à ce qui se passera demain. Pour avancer, faire un seul pas, il lui faudrait tout réinventer car, elle n’est plus capable de conduire et de mener sa vie où que ce soit, sinon la traîner de son travail à son domicile, matin et soir ; les week-ends, terrée dans sa tanière comme une bête apeurée et blessée.

 

***

         Comment aimer les êtres que l’on rencontre, que l’on croise, que l’on côtoie, si peu présents à nous-mêmes, au fil des jours, au gré de nos allées et venues, à toujours revenir chez soi, là où il ne nous est plus rien demandé, libres enfin de cultiver une indifférence hautaine et seuls ?

         Si vivre est un don, ce don lui a été retiré. Pourtant ce don, nous le possédons-nous pas, tous, à 15 ou à 20 ans, bien avant même ?!

         Elle tient pour un miracle d’être encore capable de remplir une semaine de congé qu’elle était dans l’obligation de prendre.

         N’être présente à personne. N’avoir affaire qu’à

soi, matin, midi et soir, sans échappatoire possible,

jusqu’à ne plus pouvoir creuser qu’un seul sillon :

soi-même. Close dans la pleine obscurité du jour,

inaccessible à elle-même, aucun lien possible entre sa

solitude et celle des autres ; aucune solitude en face

de sa propre solitude qui dormait très certainement en

elle depuis toujours.

 

         Dehors, tout près, à deux pas, par la fenêtre

entrouverte de sa chambre, toute la rumeur du monde

se fait entendre ; tout est là, présent, mais sans elle

qui n’y est pas et qui s’est tue : s’en est-elle absentée

ou bien, est-ce le monde qui l’a rejetée ? Chacun a

fait un pas vers l’autre quand il s’est agi de s’extraire

et de s’exclure : le monde d’elle et puis, elle… du

monde. Désencombrée jusqu’à la vacance, ce n’est

pas qu’elle se soit perdue, c’est le monde qui l’a

égarée en chemin, alors qu’il vaquait à ses

occupations, tantôt paisibles, tantôt tumultueuses :

précisément là où elle n’était pas.

 

         Elle se tient là, prisonnière d’une vie exiguë qui ne distingue plus rien et qui s’éloigne. Une fois accompli en elle, le présent ne lui laisse aucune trace, sinon celle d’un ennui profond. Elle n’a rien fait de la journée : une journée blanche, une journée pour rien ;

on y entre sans étonnement, on s’y meut les yeux

fermés dans ces journées aveugles ; on en sort

inchangé, intact. Une journée de condamné à mort :

on ne pense à rien ; on n’ose plus ; on espère un

signe, une grâce qui ne viendra pas car au fond de soi,

on sait que l’on ne la mérite pas. Ces journées

blanches sont faites de tous les êtres que nous ne

pouvons plus atteindre ; quant à les toucher ou bien,

les serrer tout contre soi, vibrant d’émotion…

 

         Des termes de ce grand contrat qu’est la vie, que

reste-t-il ? Qu’est-ce qui nous a retenus d’aimer ? La

force ? Le courage ? Ou plus simplement : la capacité

à pouvoir s’oublier un peu ?

 

         Elle a laissé s’accumuler en elle la colère. Face à

l’incompréhension comme une manière de jeter sa vie

au néant, avec effroi, elle a pensé : « Tout est allé si

vite et pourtant, j’avais l’impression que tout allait si lentement. J’ai dû faire une erreur mais… où ? Tout m’a éloigné de l’essentiel. Dehors, je n’y étais pas et si j’y étais, c’était pour personne et dedans, tout s’est abîmé. »

 

         Tous ses souvenirs n’ont rien à lui dire, rien à lui

enseigner sinon qu’il vaut mieux ne pas retrouver ce

qu’on aurait jamais dû perdre tout en sachant comme

elle le sait maintenant, qu’on ne retrouve rien :

on regrette, on s’apitoie, on s’enlise comme happé par

une douleur incommensurable dans notre impuissance

à pouvoir l’atténuer ou bien, s’en débarrasser à

jamais.

 

         Qui sont-ils ceux qui sont passés, les uns sans

s’arrêter, les autres pour reprendre leur souffle le

temps d’une courte halte ? Où sont les êtres invisibles

qui l’entourent, ceux qu’elle aurait souhaité trouver à

ses côtés ? Ceux dont elle aurait aimé retenir

l’attention et qui ne se sont même pas retournés ; et

puis, ceux qu’elle a laissés filer, incapable qu’elle

était de leur dire « Reste ! »

 

         Ni morts ni vivants, des esprits et des ombres ils

sont, aujourd’hui sans importance puisqu’il est trop

tard pour elle comme pour eux tous.

 

         Elle n’a aucun don pour les larmes ; elle ne pleurera donc pas, ou bien des larmes sèches. Récemment, elle a pensé à un départ, une sortie. Mais laquelle et pour aller où ? Au plus fort de l’ennui et du dégoût, arrive toujours un moment où on est très près de changer de vie, de tout bouleverser. On s’y voit déjà : tout sera neuf, tout sera nouveau ! On se le promet, on se le jure…

Et puis, rien : on n’a pas bougé. On s’est contentés de rêver. On est comme empêchés, inhibés d’interdits : mais diable ! Qui ou quoi nous a freinés ? Jusqu’au moment où l’on réalise que pour vivre

cette nouvelle vie, il nous faudrait être quelqu’un

d’autre : un autre soi-même car, ce n’est pas d’une

nouvelle vie dont on a rêvée mais de la vie d’un autre.

Il aurait fallu se quitter soi-même ou bien, trouver

quelqu’un pour le faire à notre place ; quelqu’un qui

nous aurait arrachés de là où nous nous sommes

enlisés.

 

         Avouons-le : il n’a jamais été question de nous, à

aucun moment : on a simplement rêvé d’une

représentation de ce qu’on aurait souhaité pour soi

car, la plupart d’entre nous ne changent pas de vie

mais de rêve ; et notre état de veille n’y changera

rien : on dort encore, notre perception de la réalité

n’étant le plus souvent qu’un simulacre de réveil.

 

_____________

 

Pour prolonger, cliquez : La consolation

 

Publicité
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article