Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr
5 Février 2025
Où est la majesté de l’être humain une fois dépouillé de sa beauté que sont l’intelligence, la force et la responsabilité – fondements de sa liberté ?
Un matin, dans le miroir de la salle de bains, et
alors qu’elle se préparait pour se rendre à son travail,
elle a vu dans son regard comme une absence, un
manque et une ombre : sa vie. Vie qu’elle a tant de
mal à atteindre et à saisir d’une main ferme et
décidée, impuissante, semant devant elle, depuis
plusieurs mois maintenant, ses propres
contradictions ; et dans ce même regard, elle a
reconnu l’image d’une existence irréelle et exténuante
qui semble n’être plus capable que de vivre dans et
pour l’attente de ce qui ne viendra pas, ou jamais, ou
bien trop tard.
Soudain, une évidence lui saute à la gorge d’un
seul bond : s’il lui restait une semaine à vivre, qu’en
ferait-elle ?
Elle ne changerait rien puisqu’il n’y a rien à saisir, rien à interrompre, rien à commencer ni à reprendre : il n’y a rien ni personne. Elle ne songe plus à ce qui se passera demain. Pour avancer, faire un seul pas, il lui faudrait tout réinventer car, elle n’est plus capable de conduire et de mener sa vie où que ce soit, sinon la traîner de son travail à son domicile, matin et soir ; les week-ends, terrée dans sa tanière comme une bête apeurée et blessée.
***
Comment aimer les êtres que l’on rencontre, que l’on croise, que l’on côtoie, si peu présents à nous-mêmes, au fil des jours, au gré de nos allées et venues, à toujours revenir chez soi, là où il ne nous est plus rien demandé, libres enfin de cultiver une indifférence hautaine et seuls ?
Si vivre est un don, ce don lui a été retiré. Pourtant ce don, nous le possédons-nous pas, tous, à 15 ou à 20 ans, bien avant même ?!
Elle tient pour un miracle d’être encore capable de remplir une semaine de congé qu’elle était dans l’obligation de prendre.
N’être présente à personne. N’avoir affaire qu’à
soi, matin, midi et soir, sans échappatoire possible,
jusqu’à ne plus pouvoir creuser qu’un seul sillon :
soi-même. Close dans la pleine obscurité du jour,
inaccessible à elle-même, aucun lien possible entre sa
solitude et celle des autres ; aucune solitude en face
de sa propre solitude qui dormait très certainement en
elle depuis toujours.
Dehors, tout près, à deux pas, par la fenêtre
entrouverte de sa chambre, toute la rumeur du monde
se fait entendre ; tout est là, présent, mais sans elle
qui n’y est pas et qui s’est tue : s’en est-elle absentée
ou bien, est-ce le monde qui l’a rejetée ? Chacun a
fait un pas vers l’autre quand il s’est agi de s’extraire
et de s’exclure : le monde d’elle et puis, elle… du
monde. Désencombrée jusqu’à la vacance, ce n’est
pas qu’elle se soit perdue, c’est le monde qui l’a
égarée en chemin, alors qu’il vaquait à ses
occupations, tantôt paisibles, tantôt tumultueuses :
précisément là où elle n’était pas.
Elle se tient là, prisonnière d’une vie exiguë qui ne distingue plus rien et qui s’éloigne. Une fois accompli en elle, le présent ne lui laisse aucune trace, sinon celle d’un ennui profond. Elle n’a rien fait de la journée : une journée blanche, une journée pour rien ;
on y entre sans étonnement, on s’y meut les yeux
fermés dans ces journées aveugles ; on en sort
inchangé, intact. Une journée de condamné à mort :
on ne pense à rien ; on n’ose plus ; on espère un
signe, une grâce qui ne viendra pas car au fond de soi,
on sait que l’on ne la mérite pas. Ces journées
blanches sont faites de tous les êtres que nous ne
pouvons plus atteindre ; quant à les toucher ou bien,
les serrer tout contre soi, vibrant d’émotion…
Des termes de ce grand contrat qu’est la vie, que
reste-t-il ? Qu’est-ce qui nous a retenus d’aimer ? La
force ? Le courage ? Ou plus simplement : la capacité
à pouvoir s’oublier un peu ?
Elle a laissé s’accumuler en elle la colère. Face à
l’incompréhension comme une manière de jeter sa vie
au néant, avec effroi, elle a pensé : « Tout est allé si
vite et pourtant, j’avais l’impression que tout allait si lentement. J’ai dû faire une erreur mais… où ? Tout m’a éloigné de l’essentiel. Dehors, je n’y étais pas et si j’y étais, c’était pour personne et dedans, tout s’est abîmé. »
Tous ses souvenirs n’ont rien à lui dire, rien à lui
enseigner sinon qu’il vaut mieux ne pas retrouver ce
qu’on aurait jamais dû perdre tout en sachant comme
elle le sait maintenant, qu’on ne retrouve rien :
on regrette, on s’apitoie, on s’enlise comme happé par
une douleur incommensurable dans notre impuissance
à pouvoir l’atténuer ou bien, s’en débarrasser à
jamais.
Qui sont-ils ceux qui sont passés, les uns sans
s’arrêter, les autres pour reprendre leur souffle le
temps d’une courte halte ? Où sont les êtres invisibles
qui l’entourent, ceux qu’elle aurait souhaité trouver à
ses côtés ? Ceux dont elle aurait aimé retenir
l’attention et qui ne se sont même pas retournés ; et
puis, ceux qu’elle a laissés filer, incapable qu’elle
était de leur dire « Reste ! »
Ni morts ni vivants, des esprits et des ombres ils
sont, aujourd’hui sans importance puisqu’il est trop
tard pour elle comme pour eux tous.
Elle n’a aucun don pour les larmes ; elle ne pleurera donc pas, ou bien des larmes sèches. Récemment, elle a pensé à un départ, une sortie. Mais laquelle et pour aller où ? Au plus fort de l’ennui et du dégoût, arrive toujours un moment où on est très près de changer de vie, de tout bouleverser. On s’y voit déjà : tout sera neuf, tout sera nouveau ! On se le promet, on se le jure…
Et puis, rien : on n’a pas bougé. On s’est contentés de rêver. On est comme empêchés, inhibés d’interdits : mais diable ! Qui ou quoi nous a freinés ? Jusqu’au moment où l’on réalise que pour vivre
cette nouvelle vie, il nous faudrait être quelqu’un
d’autre : un autre soi-même car, ce n’est pas d’une
nouvelle vie dont on a rêvée mais de la vie d’un autre.
Il aurait fallu se quitter soi-même ou bien, trouver
quelqu’un pour le faire à notre place ; quelqu’un qui
nous aurait arrachés de là où nous nous sommes
enlisés.
Avouons-le : il n’a jamais été question de nous, à
aucun moment : on a simplement rêvé d’une
représentation de ce qu’on aurait souhaité pour soi
car, la plupart d’entre nous ne changent pas de vie
mais de rêve ; et notre état de veille n’y changera
rien : on dort encore, notre perception de la réalité
n’étant le plus souvent qu’un simulacre de réveil.
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