Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr
13 Mars 2025
Ca y est ! Me voilà arrivé au point d’un nouveau départ sur une ligne sablonneuse et mouvante comme une cible qui se dérobe.
Alors... tous à la plage ! Le premier qui se jette à l'eau gagne le droit de s’y noyer.
***
« Bonjour ! Dites-moi, je cherche un dénommé...
- Vous êtes le Monsieur de la télé ? Vous venez pour le reportage ?
- Oui. Mais...
- Je vous attendais. Au village, j’ai entendu dire
qu’il y avait un journaliste qui rôdait dans les parages. Vous savez, ici, tout se sait très très vite même si tout le monde se tait parce qu’ici, ils savent se taire aussi.
- Mais, c’est pas vous que je dois interviewer...
- Si, si ! C’est bien moi. Ca vous surprend ?
- Notre enquête ne concerne que les hommes et...
- Mais... j’ai été un homme. D’ailleurs, pour certains, je le suis encore.
- Un homme ? Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
- Comment ça ?
- Écoutez ! Je suis supposé rencontrer un dénommé Philippe Langlois et... Attendez ! A moins que...
- Il serait temps que vous remettiez vos fichiers à jour. Je ne suis plus Philippe Langlois. Je suis... Nathalie... Nathalie Langlois.
- Mais oui, bien sûr ! Maintenant que vous... Non vraiment, je suis confus.
- Je vous en prie. Ne vous excusez pas. C’est pas facile pour personne. Mais... venez ! Ne restons pas là ! Rentrons ! Soyez gentil, voulez-vous : mettez mon châle sur mes épaules.
- Dites-moi, vous êtes toujours éleveur, n'est-ce pas ? - Oui, je suis éleveur de brebis. Vous savez, j’ai longuement réfléchi avant d’accepter de participer à votre étude. Parce que... si c'est une enquête, c'est aussi un peu comme une étude, non ?
- Oui. C'est une sorte de... une sorte d'enquête-étude ou d'étude-enquête.
- J’ai eu votre directeur au téléphone, voilà un mois. J’ai pas tout compris. Il est un peu confus votre directeur. Il m’a parlé de cette enquête et j’ai dit oui. Depuis, j’ai failli me raviser. Vous dites que vous êtes de la télé... mais où sont les caméras, votre équipe et...
- Mon équipe ? Ah oui ! Ne vous inquiétez pas. Ils viendront. Ils viendront tous. C’est un premier contact. Dites-moi vous êtes éleveur de brebis mais... où se trouve votre élevage ?
- Là-haut ! Tout là-haut, dans la montagne. Mes brebis, elles se débrouillent toutes seules, vous savez. Et puis, j'ai mes chiens pour les surveiller et les protéger. Les autres bergers, ils s’affèrent, ils courent dans tous les sens. Et vas-y que je te les descende en hiver, et vas-y que je te les remonte au printemps. Ils font semblant d’être débordés. C’est tout.
- Mais alors, tous ces discours sur la transhumance, les bergers, les chiens, la nature, la solitude ; et puis, la nuit... les étoiles ; et... les loups aussi !
- Oui ! Oui ! Et puis les ours ! Vous savez, on peut tenir des discours sur tout ; et sur la transhumance aussi. Mais tout ça, c’est des conneries. Les bergers, faut pas les écouter : c’est tous des baratineurs. Ici, ils font les malins mais ils n’en foutent pas une. Ils passent leur temps dans les cafés à se moquer des pédés dans mon genre, parce qu’ils pensent, ces ignorants, que je suis pédé. Vous savez : je me suis fait opérer. Je n'ai pas voulu faire les choses à moitié. Mais revenons à mes petites bêtes. Mes brebis à moi, elles font leur fromage toutes seules, comme des grandes filles ; elles marchent au doigt et à l’œil même quand il n’y a personne pour leur montrer un doigt ou leur faire de l’œil.
- Mais, on va où par-là ? On arrive chez vous, c'est ça ?
- Oui. C'est chez moi.
- Faites attention à vos talons : c’est fragile. Et sur ce chemin, ce serait dommage de les...
- Vous au moins, vous êtes attentionné. J’ai toujours rêvé d’un homme attentionné. C’est si rare. Venez, on va s’installer sur la terrasse. Il fait encore beau à cette heure-ci. Asseyez-vous. Je m’occupe de tout. Vous savez, j’ai toujours voulu m’occuper d’un homme. Je vous sers quelque chose ?
- Oui, merci.
- Alors comment me trouvez-vous ? Vous me trouvez belle ?
- Je dois dire que c’est assez réussi.
- Oubliez que j’ai été Philippe. Juste au premier coup d’œil, comment me trouvez-vous ?
- Je vous trouve... Je vous trouve émouvante. Vous semblez vous être donnée tellement de mal. C’est du travail tout ça ! Non, vraiment je vous trouve... attendrissante.
- Avec le métier que je fais, c’est pas facile de rester femme... enfin je voulais dire... Eh oui, pourquoi pas, après tout ! Oui, je suis une femme et donc, c’est pas facile, dans mon cas, quand on est éleveur de brebis, de rester féminine !
- Justement, racontez-moi !
- C’est pas drôle tous les jours. Imaginez un peu lorsque je me rends sur les marchés pour vendre mes fromages ! Parce que j’écoule une partie de ma production sur le marché local. Et puis l’été, il y a le tourisme. Alors, on leur sort le grand jeu. Avec notre marchandise, que ce soit des fromages ou autre chose, il faut pouvoir les faire rêver tous ces touristes ! Vous m’imaginez derrière mon étal avec mes talons aiguilles et mon maquillage ? D’ailleurs, vous ne m’avez pas fait de compliments sur mon maquillage !
- C’est vrai. J’aurais dû. Il est très réussi votre maquillage.
- Éleveur de brebis ou pas, je veux être et je veux rester femme avant tout. Il y a les jours de marché où c’est pas drôle avec les autres éleveurs et les employés des abattoirs. Parce que de temps en temps il faut bien les abattre ces petites bêtes. On ne peut pas les élever juste pour faire plaisir aux touristes et à leurs gosses... sous prétexte qu'en été, un berger et son troupeau, ça fait bien dans le paysage. C’est le cœur serré que je les vois partir à l’abattoir. Mais... dieu merci, aujourd’hui, ils font ça proprement. Vite fait, bien fait ! Mais quand même, on s’y attache à ces petites bêtes. Enfin moi, je m’y attache facilement. Elles sont comme mes filles. Pour les autres éleveurs, je ne sais pas. Vous savez, ils m’évitent. Ils ne me parlent pas. Pourtant entre bergers, il y a comme... comment dire ? C’est un peu une grande famille. Eh bien moi, je ne fais pas partie de cette famille : "Numéro 5" et les talons aiguilles, ça fait désordre dans le milieu des éleveurs. Et ils n’aiment pas le désordre. Alors, c’est pas drôle tous les jours quand il faut les rencontrer, eux et leurs femmes. Vous imaginez leurs réactions quand ils me voient. Ils hésitent. Ils se demandent si je suis du lard ou du cochon. Dieu merci, ils ne se posent pas trop longtemps la question : vous imaginez ce qu’ils feraient de moi si j‘étais du lard ou du cochon ?! Alors, lorsqu’ils comprennent ou lorsqu‘ils croient avoir compris, je ne vous dis pas ! Aux abattoirs et sur les marchés, si vous saviez ce que j’entends. - Dites un peu. - Ils me disent qu’on devrait créer un nouveau label pour les producteurs dans mon genre : "Fromage de pédé issu de l‘agriculture homosexuelle". Ici, ils sont droits mais leur droiture me fait froid dans le dos, je vous assure : ils sont obtus et rigides ; ici, ils ne connaissent que la ligne droite, alors, si vous leur présentez une courbe, oh, une petite courbe, rien de bien méchant, eh bien, ils sont comme... perdus devant cette figure géométrique qui leur est totalement étrangère. Ici, ils sont adorables aussi longtemps que vous leur ressemblez. Sinon, c’est l’enfer. Ils ont la poignée de main volontariste et le regard franc mais à l’intérieur, c’est pourri comme partout ailleurs. Ce sont aussi des monstres dans leur genre...
- Des monstres ? Des monstres avez-vous dit ? Racontez-moi, j'enregistre !
- Je me suis installée ici après mon opération parce qu’en ville, c’était pas mieux. Je suis venue me cacher et me fondre dans le paysage. Je sais qu'avec ma tenue, venir ici me fondre dans le paysage entourée de tous ces gens, c’était peut-être pas la meilleure des idées. Remarquez, je suis sûre que certains éleveurs aimeraient bien goûter du transsexuel. Quand on voit leurs femmes ! Franchement, y'a pas photo ! J’ai vraiment toutes mes chances. Je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas parmi eux des pédés qui se cachent. Parce que pour eux, je suis un pédé et pour les plus futés, je suis au pire, un travesti ou un travesti pédé mais... un homme devenu femme... ça les dépasse. - Dites-moi comment c’est arrivé tout ça : votre opération...
- Quand j'étais encore un homme, j'ai vécu avec une femme, il y a de ça, dix ans. Et puis un jour, j’en ai eu marre de l’odeur du dissolvant. Elle était partout cette odeur. Combien de fois je lui ai dit : "Fais ça dans la salle de bains ! Dans la salle de bains !" Mais non, ses ongles, elle les faisait n’importe où : dans la salle à manger, le salon et dans la chambre. Alors un jour, cette odeur, je ne l’ai plus supportée. Et puis, il faut que je vous dise autre chose. Sa viande, oui, sa viande, parce qu’elle était très viande ma petite amie de l'époque, eh bien, sa viande, elle la mangeait bien cuite et moi je la mange saignante. Alors, à chaque repas, il fallait que je l’attende. Et un jour, j’en ai eu marre de la manger froide, ma viande. Et puis, j'ai fini par rencontrer un homme au moment où je commençais sérieusement à m’impatienter. Une chance : sa viande, il la mangeait bleue. Alors, c’est lui qui m’attendait ; et pas d’odeur de dissolvant dans l’appartement. Kévin, oui, Kévin c’était son nom, il touchait pas à ses ongles. C’était un homme, un pédé, mais un homme. Vous comprenez ? A notre première rencontre, je me suis dit : c’est avec un type comme lui que je veux vivre. Alors, je suis devenue pédé. Comme quoi, l’homosexualité, ça tient pas à grand-chose : une odeur de dissolvant qu’on ne supporte plus et une viande qu’on ne veut plus manger froide...
- Comment vous en êtes arrivée à vouloir changer de sexe ?
- J’ai toujours eu le sentiment que j’appartenais au sexe opposé. C’était dû à une anomalie chromosomique ; et l’analyse caryotype me l’a confirmée. Dans un sens, je me suis sentie rassurée et comme... réconfortée. Je savais bien qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Avec Kévin j’ai assumé : j'ai emménagé chez lui et je suis devenue pédé dans le sens où j'étais un homme qui vivait en couple avec un autre homme. Mon Dieu, il était beau ce Kévin. Au lit, j’aimais bien être dominée. J’adorais ça me la prendre dans le cul sa bite bien longue et bien dure. Oui, dans le cul car, à l’époque, il n’y avait pas d’autre endroit possible. Mais... dites, je pensais à quelque chose : vous avez déjà essayé ?
- Essayé ?
- Je vous parle de vous faire prendre par derrière ; je vous conseille un petit jeune avec une petite bite, genre seize... dix-sept ans, pour commercer ; couchez-vous sur le côté, levez une jambe, laissez-le se glisser derrière vous, et laissez sa petite queue vous rentrer dans le cul, doucement et gentiment. Vous devriez essayer.
- J’ai pas trop la tête à ça en ce moment.
- Plus tard alors ?
- ……………..
- Remarquez, ça ne ferait pas de vous un pédé, pour autant. C'est pas parce qu'on aimerait bien se faire prendre par un petit jeune qu'on est pédé. L'homosexualité c'est autre chose.
- C'est à espérer. Ou alors, ce serait petit, tout petit.
- Oui, tout petit petit ! Petit comme la bite d'un gosse de quinze ans. Mais qui sait après tout... peut-être que vous n’aimerez pas ça. Mais faudrait quand même essayer pour savoir. Bon, je sais ce que vous pensez ; vous vous dites : "Ah ces pédés alors ! Ils s’imaginent toujours qu’un hétéro c’est un pédé refoulé, et parfois même, une femme qui s’ignore, cet hétéro de pédé refoulé femme". Que voulez-vous : c’est maladif. Il faut toujours qu’on fasse du prosélytisme. On doit sûrement culpabiliser. Parce que... on nous aime toujours pas. Oh ! Bien sûr ! On nous crache plus au visage, certes ! Mais, on nous regarde encore un peu et dans le meilleur des cas, comme des bêtes curieuses. Je suis sûre, même s’ils n’osent plus le dire à haute voix, qu’ils nous considèrent encore comme des malades, des pervers. Regardez : les hétéros nous refusent le droit d’adopter des enfants. Pour quelles raisons, à votre avis ? Ils n’osent plus dire que nous sommes des détraqués, parce que ça fait... nazi de dire une chose pareille. Ah, les cons ! Ils pensent donc que les nazis n’aimaient pas les pédés ! Eh bien moi, je suis sûre que dans leurs camps d’instruction, toute la petite jeunesse hitlérienne est passée à la moulinette de leurs grosses bites de gros nazis instructeurs ! J'vais vous dire : les nazis n’aimaient pas les pédés qui n’étaient pas nazis, mais ils crachaient pas sur la chair fraîche des jeunes garçons. Voilà la vérité ! Quant aux autres... les religieux, les croyants, pratiquants de préférence. Et pourtant, je suis sûre que Dieu aime les pédés, les travestis et les transsexuels. Mais c’est vrai que Dieu aime tout le monde. Et ceux qui aiment tout le monde n’aiment personne. Alors, peut-être que Dieu qui n'aime personne, n’aime pas les pédés en particulier ! Mais alors, je me demande une chose : que font-ils tous ces croyants pratiquants de leurs fils pédés ? Ils les brûlent ? Ils les excommunient ? Ou alors, ils les jettent à la rue pour leur apprendre comment on ne devient pas pédé quand on l’est et qu’on se retrouve seul dans la rue ? Ou bien, ils font semblant de ne pas le savoir et ils prient le bon Dieu pour que leurs fils soient épargnés par la peste ou le choléra. Je les entends déjà : "Dis chérie, je crois que notre fils est... Comment dire ! Je le trouve un peu... enfin, je le trouve pas très... tu crois qu’il est un peu... et sur les bords... un peu... comment dire ? Et ses amis, je ne veux pas t’alarmer indûment, mais tu as vu ses amis, tu les trouves pas un peu... enfin... tu vois ce que je veux dire Chérie ?" Vous imaginez le dialogue dans la famille : comment dire que le fils est pédé, sans le dire mais tout en le suggérant et le tout, avec l’idée de lui faire reprendre le droit chemin avant qu’il ne soit trop tard. Parce que si leur fils a le malheur d’y goûter, mon Dieu, il risque de ne jamais en revenir. - Dites, on peut revenir à votre opération ? Qu'est-ce qui vous a poussée à vous faire opérer ?
- Je ne voulais plus être un pédé, un mec pédé, un homme qui couche avec d’autres hommes. Et puis, j’avais commencé à me travestir. Vous savez, maintenant que j’y pense, l'odeur du dissolvant que je ne supportais plus ; en fait, je ne rêvais que d’une chose : c’était de me les faire mes ongles comme une femme fait ses ongles même si Jacqueline, ma compagne d’alors, n’aurait jamais accepté ça. Mais... qu'est ce que je disais ?
- Que vous aviez commencé à vous travestir. - Ca plaisait bien à Kévin. Et puis, après un temps, je n'ai plus voulu être ni pédé ni travesti : je voulais être ce que j’ai toujours eu la certitude d’être : une femme, une vraie ; enfin, autant qu’il soit possible de l’être quand on a été un homme et qu'on l'est encore. Alors, un jour, mes seins ont commencé à se développer et puis, je leur ai demandé de me couper la quéquette et les couilles.
- Aujourd'hui, votre vie de femme, comment se présente-t-elle pour vous ?
- Je ne me suis jamais sentie aussi seule. J’étais déjà pas très entourée quand j‘étais travesti, mais là, vraiment c’est le désert. La communauté homo me rejette. Quant à moi, je n’ai plus besoin d’elle maintenant que je ne suis plus pédé. Après mon opération, j’ai quitté Kévin. J’avais pas envie qu’il couche avec moi comme on coucherait avec une bête curieuse. Et puis, de mon petit trou du cul, je ne voulais plus qu’il y touche. Bien sûr, j’aimerais bien une relation stable, comme vous autres, les hétéros et les pédés. Alors, une fois par mois, je descends en ville. Ca fait des heures de route parce que… ici, on est loin de tout. Mais là-bas, je rencontre des célibataires, des hommes mariés, des habitués, des ronds-de-cuir de la rencontre insolite, des blasés ; et puis des “Je ne sais pas très bien qui et quoi.” Il semble y avoir tellement de variations possibles sur le thème de “Je ne suis pas seulement ce que je suis. Je suis bien d’autres choses encore !” qu’à la fin, on s’y perd. Remarquez, tous ces hommes, mariés ou pas, je les comprends un peu. Au lit, les femmes et les hommes tentent, tant bien que mal, de s'entendre ; et le plus souvent, ils n’y parviennent pas. Alors, à ce sujet, j'ai une idée...
- Une idée ?
- Oui.
- Dites un peu pour voir.
- Il faudrait qu'au lit, les femmes s’occupent des préliminaires des femmes, et les hommes, des préliminaires des hommes. Ensuite, ces mêmes couples hétéros se retrouveraient pour la pénétration de rigueur ; même si le risque suivant n'est pas à négliger : en effet, il se pourrait bien que les femmes et que les hommes refusent de reconstituer le couple hétéro qu‘ils étaient supposés former en début de soirée car, seul un homme est véritablement capable de faire une fellation à un autre homme car, seul un homme est réellement capable de comprendre le sexe d’un homme quand il s’agit de lui faire une fellation. Pour les femmes, même constat : seule une femme peut comprendre le corps d’une autre femme. Trouvez donc une femme qui sache vous faire une fellation comme vous souhaiteriez qu’on vous la fasse et puis, comme vous, vous vous la feriez, si vous pouviez vous la faire ! Et pour les femmes, demandez-leur de trouver un homme qui sache caresser une femme comme une femme souhaiterait être caressée ? Et je sais de quoi je parle : Jacqueline ne savait pas sucer, mais Kévin, lui, il me suçait comme un Dieu - enfin, comme Dieu sucerait si Dieu suçait les pédés. Pensez à tous ces couples hétéros, provisoirement séparés qui se font sucer, lécher et caresser comme jamais on les a sucés, léchés et caressés ! Côté homme, avec qui croyez-vous qu’ils souhaiteront éjaculer ? Et côté femme, avec qui croyez-vous qu’elles souhaiteront prendre leur pied si toutefois, c‘est pas déjà fait ? Et bien, avec celles et ceux qui n’ont pas cessé de les caresser, de les lécher et de les sucer comme jamais ils n’ont été caressés, sucés et léchés : les femmes avec les femmes et les hommes avec les hommes ; d’où le risque encouru par tous ces couples hétéros si par malheur ou par bonheur, ils tentent cette expérience. Vous savez, je crois qu'il y a autant d'hommes qui baisent mal que de femmes qui ne savent pas prendre leur plaisir. Et quand ces gens-là se rencontrent, c'est pas trop grave puisque les uns ne savent pas qu'ils baisent mal et les autres ne savent ce qu'elles perdent. Les deux sexes ignorent l'incompétence ou l'infirmité de l'autre et réciproquement.
- En effet, votre démonstration est convaincante. Sinon... je pensais à une chose tout en vous écoutant : vous avez été hétéro. Ensuite, vous avez été homo et puis, travesti. Aujourd‘hui, vous êtes une femme et donc, vous êtes à nouveau hétéro. C‘est ça, non ?
- Aux yeux de la société, je suis quoi ? Un homo, un hétéro, un travesti, un transsexuel ou bien… une femme ? Ici dans le village et aux alentours, on me considère au mieux comme un pédé, au pire comme un désaxé. Mais quand je couche avec un homme, qui suis-je aux yeux de la société ? Un pédé ou bien, une femme qui couche avec un homme ? Et puis, l’homme qui couche avec moi, il couche avec une femme ou avec un pédé ou bien, un transsexuel ? Et cet homme, qui est-il ? Et moi, qui suis-je si je ne sais pas qui est celui qui couche avec moi et pourquoi il couche avec moi cet homme qui ne sait pas lui-même s’il est homo ou hétéro. Il s’agit peut-être d’un excentrique ; ou bien, d’un simple curieux. Moi, je suis sûre d’une chose : je suis une femme. Quand je vivais avec Jacqueline, nous formions aux yeux de la société un couple hétéro : Jacqueline couchait avec moi parce que j’étais un homme. Quand je l’ai quittée pour vivre avec Kévin, aux yeux de la société, j’étais pédé, Kévin était pédé et la société nous reconnaissait comme un couple de pédés. Et maintenant que je suis une femme, bien qu’on ne me considère pas comme telle, quand je couche avec un homme, cet homme, je le désire comme peut le désirer une femme. Donc, je suis bien hétéro. Car, je jouis quand je couche avec un homme, vous savez ! Oui ! Je jouis comme une femme quand elle jouit, sans doute. Je ne sais pas comment… mais je jouis. Et cet homme qui couche avec moi, couche-t-il avec moi parce que je suis une femme ? Dans ce cas, pourquoi ne couche-t-il pas avec une femme qui l’a toujours été… femme ? Que vient-il chercher chez moi ? Vient-il chercher un transsexuel parce qu’à ses yeux et aux yeux de la société je ne serai jamais vraiment une femme ? C’est vrai, je ne peux pas avoir d’enfants. Mais est-ce à dire que les femmes stériles ne sont pas des femmes ? Dites-moi ! Soyez honnête ! Vous… vous coucheriez avec moi… comme un homme couche avec une femme ?
- En ce moment j’ai pas trop la tête à ça. Je ne peux pas vous dire. Mais je vous trouve attachante. Et puis, vous êtes courageuse.
- Tiens ! Vous m’avez touché la main.
- Moi, j’ai… ? C’était… je ne sais pas. Je n’ai pas réfléchi. Vous êtes attendrissante. C’est sans doute ça. Vous luttez et ça vous rend attachante.
- Vous êtes gentil, vous savez, c’est rare. J’ai toujours voulu rencontrer un homme gentil.
- J’imagine ! Et puis, quelle femme ne le souhaiterait pas ?
- C’est vrai.
- Mais… continuez ! J’enregistre.
- Le jour où je me suis fait opérer, j’ai gagné en cohérence vis à vis de moi-même, c’est sûr. Mais ce que j’ai gagné d’un côté, je l’ai perdu de l’autre. Le doute s’est installé en moi : le doute vis à vis des autres. Et ce doute, je ne parviens plus à m’en débarrasser. J’ai commencé en hétéro, ensuite j’ai été homo puis travesti puis transsexuel ; après mon opération, enfin femme, j’ai cru réintégrer la communauté hétéro. Mais aux yeux de la société, j’ai perdu en cohérence, car cette société ne me considèrera jamais comme une femme. Demandez donc à celles qui le sont depuis leur naissance ! Demandez-leur et vous verrez ! Le doute, encore le doute. Oui, le doute en ce qui concerne mes partenaires. Je ne saurai jamais vraiment si l’homme qui couche avec moi me désire en tant que femme. Il se peut qu’il veuille me flatter en me reconnaissant comme telle. Mais lui dans son for intérieur, il sait pourquoi il couche avec moi. Et pire encore, il ne le sait peut-être pas. Tout ce qu’il sait c’est qu’il me désire. Mais il peut très bien s’agir d'un hétéro curieux qui veut voir à quoi je ressemble, et l’effet que ça fait de coucher avec moi.
- Ne leur dites rien : “Ni vu ni connu” genre…
- Tôt ou tard, il le faudra bien. Vraiment, aujourd’hui je ne sais plus ce qu’on vient chercher chez moi.
- Il faudrait le leur demander.
- J’ai tenté de poser cette question à mes partenaires d’un week-end : pourquoi moi ? Mais je n'ai jamais osé. Leurs réponses m’effrayent déjà. J’imagine des excuses, des commentaires affligeants et humiliants. Reste l’amour ! Oui ! L’amour ! Est-ce que l’amour pourrait faire que toutes ces questions ne se posent plus ? Cet homme que je désire et que j’attends peut-être m’aimera-t-il tout simplement parce qu’il ne peut pas faire autrement ? Alors, je ne me poserai plus la question de savoir ce qu’il pense de moi et ce qu’il est venu chercher auprès de moi parce que… quand on est aimée, alors, on se fout de tout. Oui ! Quand on est aimée, on...
- Vous n’allez pas vous mettre à pleurer. Tenez, prenez ce mouchoir.
- Merci.
- Je vous en prie.
- Il est propre, au moins, votre mouchoir ?
- Mais… bien sûr ! Enfin, vous pensez bien !
- C’est pas pour dire mais…
- Allez, un jour peut-être…
- Un jour, quelqu’un me tendra un mouchoir sale et il me dira qu’il est propre son mouchoir et ce jour là, ce sera le dégoût et ce sera terrible aussi.
- Je voulais dire : un jour tout s’arrangera. - A quoi bon être ce que l’on pense être si tout autour de vous, tout contrarie et déforme l’image que vous avez de vous-même ? C’est comme un combat. A la fin quelqu’un doit céder. J’imagine qu’il doit toujours y avoir un vainqueur et un vaincu ! Alors, est-ce qu’il est plus important d’accepter d’être ce que les gens veulent que vous soyez, quitte à ne plus être ce que vous souhaitez être, ou bien, est-il plus important d’être ce que vous êtes réellement et même, si vous devez en souffrir ? Et puis, on peut toujours s’obstiner mais sait-on jamais qui on est et ce qu’on doit être et ce qu’il faudrait être ? Et les autres, ils peuvent toujours s’acharner contre vous mais savent-ils réellement ce qu’ils souhaitent ? Eux-mêmes, savent-ils réellement qui je dois être et qui ils sont ? Si je renonce à lutter, est-ce que je continuerai de souffrir ? Et si je m’obstine, cette souffrance aura-t-elle une fin ? C’est moi qui ai tout à perdre dans cette affaire. Alors, pourquoi ne me laisseraient-ils pas gagner ? Ils ne perdent rien sinon quelques préjugés. Mais… j’ai peu d’espoir. Où est ma cohérence si je suis la seule à pouvoir l’expliquer cette cohérence… à l’intérieur… cohérence qui m’est refusée à l’extérieur ? Car à leurs yeux, je n’ai pas de sens ! Mais alors, comment vit-on dans ces conditions ? Aujourd’hui, je ne peux plus faire marche arrière. Je me suis fait couper… eh oui ! Plus de zizi… plus rien ! Et ma condition est irréversible et ce mal est donc incurable. Est-ce que j’ai bien fait d’aller jusqu’à l’opération ? Parce que… aujourd’hui, je suis là, plantée sur mes talons, femme mais seule et inutile. Quand j’y pense ! Tous ces efforts, en vain. Cette lutte acharnée, toutes ces années ! Cette lutte pour rien. Aujourd’hui, personne ne m’aime. Jacqueline elle, elle m’aimait bien. Kévin aussi. Enfin, je crois qu’ils m’aimaient tous les deux parce que, au fond, on n‘est sûr de rien, jamais ! J’vais vous dire : heureusement qu’il y a mes brebis ! Au moins elles, elles savent se taire et écouter. Elles ont, si j’ose dire, l’intelligence de ne pas me juger. D’ailleurs, elles n’en ont pas les facultés. Ce qui arrange bien mes affaires, vous me direz ! N'empêche ! Elles ne me torturent pas ! Qui sait ce que mes bêtes penseraient de moi si elles avaient les capacités de me juger ? Qui sait ? Ce sont peut-être aussi des monstres, mes bêtes, tout comme les êtres humains ? Vous voyez, je préfère ne pas y penser. Je pars du principe que mes brebis et mes chiens n'ont pas de facultés de jugement... - Nathalie ! C'est pas pour... mais faut que j’y aille. L'heure tourne.
- Mais... vous n'y pensez pas ! Pas comme ça ! - Nathalie ! Faut être raisonnable. Il va faire nuit et... - Tout ce chemin que j’ai fait pour vous... Oui, moi ! Parce que j’en ai fait du chemin pour vous parler. Vous comprenez ? Ensemble, on en a fait du chemin, mine de rien... on a beaucoup parlé et puis... c’est pour vous qu’aujourd’hui, je me suis habillée, maquillée et tout le reste. C’est pour vous. Qu’est-ce que vous croyez ?! Ces talons aiguilles, aussi, c’était pour vous. Il fallait que je sois présentable. Il fallait que je sois belle. Il fallait que je sois physiquement irréprochable. C’était ma seule chance. En passant à la télé, je voulais tenter ma chance auprès d‘eux, eux tous. Vous comprenez ? Je ne suis pas idiote : même quand on ne veut pas juger, eh bien, je sais que c’est difficile de ne pas le faire car, finalement, on ne peut pas s’en empêcher. C'est tellement difficile de ne pas juger celui dont on n‘a rien à foutre : l'autre, quand il vous est étranger, inutile et vain ; cet autre à ce point autre qu'on ne comprend même pas la nécessité de sa présence au monde. Je les entends déjà : "Qui ? Quoi ? L’autre ? Quel autre ? Et puis, pourquoi faire ? Comme si on en avait besoin ! Il ne manquerait plus ça ! L’autre ? De qui ? De quoi ? Mais... qu’il vive, si à son sujet on ne peut pas faire autrement et s'il ne peut pas se résoudre à crever, mais... qu’il se cache, qu’il disparaisse, et qu'il se taise surtout ! Merde alors ! L’autre... l’autre... l’autre ! Vous avez dit : l'autre ?! Ca... on fait pas ! Et puis, on... n'a... pas le temps !" Vous comprenez maintenant ? Alors, je me suis dit : il faut que tu sois belle quand le Monsieur de la télé viendra ; c’est ta seule chance. Si tu es physiquement irréprochable, ils accepteront de t’écouter. Ils te dévisageront un moment, et puis très vite, ils ne te regarderont même plus et ils t’écouteront. Et s’ils t’écoutent, alors là, tu as une chance. Si je ne suis pas parfaite, au premier regard, leur jugement se mettra en branle, et en une seconde, ce sera fini. Fini pour l’éternité ! Dans le meilleur des cas, ils n'en auront rien à foutre et... dans le pire, ils souhaiteront ma mort : ce sera le dégoût en guise de réprobation ; un haut-le-cœur imprescriptible avant le verdict et la condamnation. Oui ! J’en ai fait du chemin avant de me décider à vous recevoir, vous savez. Je viens de loin. Tenez ! Approchez donc ! Venez... on va...
- Mais... qu’est-ce que vous faites ?
- Tenez, je suis sûre que vous mourez d’envie de savoir comment je suis foutue. A poil, ça ressemble à quoi une femme comme moi ? Hein ? Ca vous travaille l‘esprit depuis le début, n’est-ce pas ? Mais venez, je vous dis !
- Lâchez-moi !
- Vous allez rester avec moi ce soir.
- Non, lâchez-moi !
- Je vous dégoûte, c’est ça ? Ne vous faites pas d'illusions : je ne vous laisserai pas partir. Tenez ! Mettez vos mains là ! Tâtez ! A vous seul, je montrerai tout. Vous me direz ce que vous en pensez. Qui sait, peut-être serez-vous épaté ! Et puis, vous me prendrez comme vous voudrez, bien dans la chatte, parce que j’en ai une de chatte vous savez ! J’en ai une ! Vous me prendrez comme un homme... comme quand un homme prend une femme. Personne n’en saura rien.
- Arrêtez !
- Personne ne le saura. Faites de moi ce que vous voulez. Touchez-moi ! Touche-moi avec tes mains ! Tu sais... tu m'as plu tout de suite ! Oui, tout de suite.
- Laissez-moi partir ! Enlevez vos mains...
- Vous êtes bien un homme, non ? Personne n’en saura rien, je vous dis ! Vous m’avez plu tout de suite... dès la première seconde. C’a été le coup de foudre ! Le tonnerre ! Un tonnerre de Dieu ! Une déflagration !
- Lâchez-moi ! Non pas ma chemise ! Vous allez la déchirer !
- Vous verrez, je m’occuperai bien de vous, comme une femme quand elle s’occupe d’un homme. Personne ne saura rien.
- Non ! Je vais crier ! On nous entendra.
- Personne ne vous entendra. On est loin de tout, ici. Entrez à l’intérieur ! Laissez-moi vous faire voir...
- Non !
- Puisque je vous dis que personne n'en saura rien.
- Faut que j'y aille.
- Dites-moi, vous n’êtes pas pédé au moins ? Rassurez-moi !
- Arrêtez !
- Bon. D'accord. Si vous voulez, on va continuer de parler tous les deux, et puis ce soir, vous resterez avec moi. Tout ce chemin que j’ai fait pour vous. Parce qu’il m’a fallu en faire du chemin pour vous parler. Et puis, la pente était raide ; et rude la pente ! Quelle montée, ç’a été ! Quelle ascension aussi ! Voyez : je suis tout essoufflée. Je manque d’air. Aidez-moi à trouver mon second souffle et une seconde chance. Je viens de loin, vous savez ; et puis, je reviens de loin, aussi. C’était pas facile. J’aurais très bien pu tout abandonner en chemin. Mais j’ai pris sur moi. J’ai tout pris sur moi. J’ai gravi la pente avec ce fardeau et j’ai fait plus de la moitié du chemin. Je crois même que j’ai été la seule à le faire, ce bout de chemin. Personne ne m’a accompagné. Personne n’a souhaité faire un bout de chemin avec moi qui ai fait tout ce chemin pour vous recevoir et tenter d’expliquer qui je suis. Je me suis livrée et vous, vous ne m’avez rien dit. Je ne sais rien de vous. Alors, c’est pas juste. Restez ! Personne n'en saura rien. Jamais ! On va continuer de parler et vous resterez. Juste un bout de chemin, avec moi, cette nuit. Mais... où allez-vous ? Où courez-vous ? Revenez ! Revenez ! Ne me laissez pas comme ça ! Revenez nom de Dieu ! Vous entendez ? Revenez ! Non, pas par-là ! Vous allez vous perdre ! Soyez raisonnable ! Il fait nuit ! Revenez ! Personne.... personne n’en saura rien. Revenez ! »
Vite, ma voiture ! Ma vie contre une voiture, une échappée, un sauve-qui-peut in extremis !
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