Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr
21 Mars 2025
Je la revois... autiste et molle.
Il est tard et elle ne bouge plus. Elle s'est gonflée d'une mauvaise graisse et d'un mauvais sang qui coule en sueur grise et noire sur sa poitrine.
Mon Dieu ! Si jamais elle sèche, elle disparaît. C'est sûr ! Et moi, je me retrouve seul, désœuvré, sans témoin et sans objet !
Ses yeux sont encore saisis d'épouvante pour les quelques heures à venir, les dernières... avant la nuit qui viendra l'enfermer. Un miracle fabuleux s'est produit : son visage éclairé d'une grimace hideuse m'a presque semblé beau. Oui ! Beau ! La tête renversée, les flancs à découvert, elle aurait pu mettre à genoux tout le genre humain car, à ce moment précis, c'est bien toi qui m’as regardé.
Je tends l'oreille. Dehors, la rue est muette et les voisins absents ou bien... simplement endormis. Un soupçon d'apaisement a gagné son visage. Sa béatitude soudaine, inconsciente mais lumineuse m'intimide. Elle se mue en une déchéance paisible et résignée. Le battement dans sa poitrine ralentit, presque imperceptible. Je lui tâte le pouls. Je crois qu'elle est en perte de substance. Je suis tout près de la perdre. Je la ranime comme on remonte un réveil, un automate car, son silence et son immobilité me sont insupportables.
Son corps trône au milieu du lit. Elle a bougé. Grâce aux imperceptibles clignements de ses yeux, je sais qu'elle vit encore. Ses grands yeux me regardent attentivement. Ils sont sur le qui-vive, ses yeux à elle... elle qui va pourtant mourir. A son âge qui est celui de tous les scandales, que s'imagine-t-elle ? Sait-elle au moins par quelle main elle meurt ? Ses yeux m'interrogent en silence. Y a-t-il encore un espoir ? Une dernière chance ? Une possibilité de... ? Attend-elle quelque allégement miraculeux ?
Impassible, son corps se balance. Elle prie. Prisonnière de l'inexorable dureté de l'espoir déçu, elle prie. Sous l'emprise de son agonie, elle prie et elle divague. Je crois bien qu'elle affecte de ne plus exister qu'au travers de cette prière. Ses chances sont nulles, mais elle prie dans une langue incompréhensible, un dieu qui ne peut rien pour elle, tout comme lui qui ne peut rien pour moi, et lui encore qui n'a rien pu pour toi parce qu'il ne peut rien pour lui-même ni pour personne.
***
Sa respiration se fait de plus en plus sourde. Le temps d'un murmure indistinct, la voilà silencieuse, muette comme un glacier. De la gelée ! Voilà ce qu'elle est : une gelée flasque et sans forme. Elle a fait ses bagages. Ses valises sont bouclées. Ailleurs, quelque part, on l'attend déjà. Qui sait même, on s'impatiente.
C'est l'asphyxie. La vie ne circule presque plus. Une goutte se forme. Elle enfle. Elle se remplit.
Elle veillera sur son agonie jusqu'à l'aube, têtue et seule, attendant jusqu'à la dernière minute un secours qui n'est pas venu ou bien, un signe. Mais quel signe ? Et puis, de qui ? De ce monde-ci ou bien, de l'autre ? Elle survivra quelques heures encore, résignée face à la mort. Son agonie n'aura produit aucune tragédie mais en aura terminé une : la sienne.
Son corps stérile, totalement désaffecté, incapable à présent et pour l'éternité, de produire quoi que ce soit, eh bien, ce corps... c'est sur la pointe des pieds que je l'ai quitté, les portes grandes et ouvertes et le portail du jardin aussi, comme on s'absente pour faire une course au coin de la rue, même si je sais que je ne reviendrai jamais plus. Mais ça, je n'ai pas osé le lui dire pour ne pas qu'elle désespère de moi.
Et puis, au même moment, j'ai entendu une horloge battre la mesure. Dire qu'elle n'a pas cessé de battre tout du long et c'est seulement maintenant que je m'en rends compte.
Tenez ! Ecoutez ! Ecoutez donc ! Les battements s'accélèrent et le monde alentour avec eux.
Je n'ai eu plus qu'une envie, qu'une exigence, qu'un réflexe de bête affolée : sortir ! Sortir au plus vite et... vite ! Au prochain battement... Non ! Avant même, bien avant, entre deux coups de semonce car... soudain, tout s'est agité violemment et tout m'a dégoûté, tout, absolument tout !
Je te hais ! Poupée disloquée ! Je te hais ! Oui, je te hais !
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