Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Près de 20 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs ; durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous ! Pour tout contact : uleski@yahoo.fr
1 Mars 2025
Chute des corps…
Compression spatio-temporelle. Anéantissement de l’espace. Chaos d'événements disparates. Toute tentative de localisation réelle est sans objets.
Ce matin, le soleil s'est levé à l'ouest. On prédit déjà qu'il se couchera au sud.
Un bruit infernal est venu du dehors de l'atmosphère ; un bruit sans direction particulière. A la lunette plus rien d'observable. Plus rien de prévisible. C'est l'inertie. La théorie des grands ensembles triomphe et avec elle, l'unification de toutes les forces humaines de l'optimisation.
L'existence s'est immobilisée ; elle ne projette sur l'avenir qu'une ombre elliptique ; les forces magnétiques l'ont désertée et les mathématiciens ne peuvent en rendre compte. Elle n'a plus d'aplomb ni d'horizon. A l'équateur, elle se dérobe.
Tous les calculs le confirment : plus le monde tourne vite plus il enfle. D’aucuns ont évoqué une phase d'expansion et une phase de contraction. On parle d’un effondrement gravitationnel.
A quoi ressemblera notre état final quand toute notre énergie aura été évacuée une fois notre état stationnaire atteint ? Nul ne sait. Néanmoins, on nous affirme que rien n'a été mis en mouvement à une heure et à un jour donnés. Une seule certitude : le temps, quoi qu'il puisse être, n'aura pas de fin ni commencement, ni bords ni frontières. On nous énonce que la cause première de nos maux s'écrit désormais en minuscule puisqu'elle n'est que la somme de causes qui l'ont précédée sans fin dans le passé.
Tantôt on nous demande d’envisager le fait que tous les degrés d'exactitude se sont effondrés les uns sur les autres. Tantôt, on affirme que le principe d'incertitude est aboli. Aucune prédiction précise n'est plus possible. Aussitôt faite aussitôt contredite. On n'obtient plus qu'un seul résultat : celui que l'on connaît à l'avance. Fin de tous les absolus : absolu de temps, absolu de lieu, absolu d'absolu... sinon plus qu'un seul absolu : celui de la relativité de tout absolu.
Si des événements antérieurs ont bien eu lieu, ils ne pourront plus affecter notre existence. Tous ces événements devront être ignorés puisqu'ils n'auront tout simplement plus aucune conséquence ; sans influence ils sont, sans pouvoir, sans nuisance, sans bienfaits car, tous les matins on fait table rase.
Chaque instant donné est vite repris l'instant d'après. Tout n'est qu'hypothèse provisoire. Plus rien ne sera prouvé. Toutes les théories les plus récentes qui n’étaient que l'extension des théories précédentes ne s'accordent plus avec la réalité. Plus rien de reconductible. Tout est réfutable : notre existence même. On ne corrobore plus : on suppute.
Désormais, la peur est l'élément fondamental qui constitue notre matière. La confiance décroît. Plus rien de confortable. Plus aucune observation ne s'inscrit dans un cadre : hors champ, nous sommes !
Mais... voici que l'objectif s'affole. Il cherche, traque, avance, recule ! Contre-plongée vaine et pathétique ! Fondu au noir ! Réalité translucide jusqu'à disparaître.
Tout est scindé, morcelé en vingt, en cent, en mille milliards. De la grande échelle à l'échelle réduite à l'extrême, un cantique résonne, mécanique et bien qu'il lui reste un long chemin à parcourir, son onde se propage et menace tout ce qui résiste à son amplitude et à sa tonalité.
Qui nous fournira une théorie unique de l'existence, l'ultime but ?
Et c’est alors que… doté d’une une mémoire sans faille de l’avenir…
Je me souviens d’un avenir qui était déjà là, en nous ; et quand il est arrivé, c'était déjà trop tard.
Je me souviens d’une époque où la seule vraie rareté était le temps : personne ne pouvant l'accumuler, le produire ou bien le vendre.
Je me souviens d’une époque où seule l’efficience militaire, policière, judiciaire et psychiatrique importait.
Je me souviens que seul un rapport à l’autre purement utilitaire était encouragé et cité en exemple.
Je me souviens de l’abandon progressif des notions de sujet et d‘objet, de naturel et d’artificiel, de réel et de virtuel au nom d’une politique globale de gestion purement technologique de la vie et de la mort.
Je me souviens d’une époque dans laquelle tout « pourquoi » était interdit ; seul le « comment » avait droit de citer.
Je me souviens d’une molécule dite médiatrice, à la fois réceptrice et réceptacle, supposée contrôler les structures enchevêtrées des désordres mentaux en corrélation avec leurs propriétés physico-chimiques ; et ce, jusque dans leur dernier retranchement comportemental, psychologique et physique.
Je me souviens que personne n’y comprenait rien, mais on nous affirmait que ça marchait.
Je me souviens qu’on prétendait qu’un verre d'eau bu ici pouvait provoquer à l’autre bout de la terre une sécheresse capable de coûter la vie à des milliers d’êtres humains. Grande était alors la tentation de ne plus boire un seul verre d’eau, même si cette résolution n’a duré qu’un temps : le temps d’avoir soif.
Je me souviens d’êtres humains qui n’avaient plus qu’un destin biologique.
Je me souviens de progrès techniques qui faisaient qu’un ingénieur en électronique devait passer 3 jours sur 5 à se former car, ce qu’on appelait « sa rente de savoir » avait une validité d'un mois.
Je me souviens d’un monde au-delà de la fin, un monde sans plus de fonctionnalité.
Je me souviens de la disparition des espaces et des lieux ; on était de nulle part ; simplement de là où l’on se trouvait pour un temps déterminé.
Je me souviens d’un monde dans lequel tous les possibles étaient devenus souhaitables.
Je me souviens d’une réalité intégrale qui avait pour formes : la farce, la parodie et le simulacre.
Je me souviens d'êtres humains « artefacts high-tech » qui, n'étant jamais nés et ne pouvant pas mourir, suppliaient les autorités de mettre fin à leur jour.
Je me souviens d’une science économique qui ne raisonnait qu’en termes de « puissance d’excitation des consciences ».
Je me souviens d’une censure chargée de rendre inobservables et non-représentables des domaines de plus en plus importants de l’existence humaine.
Je me souviens du principe de domination du plus rapide pour la conquête du pouvoir politique et militaire grâce à sa supériorité technique.
Je me souviens d'un monde dans lequel rien ne se perdait : 70% des déchets étaient recyclés ; c'est toute l'activité humaine qui passait et repassait en boucle par les mêmes canaux, de poubelle en poubelle.
Je me souviens de la compression de l’espace-temps jusqu’à l’annihilation de l’un et de l’autre : on n’habitait alors plus aucun lieu ; aujourd’hui c’était hier ; il n’y avait ni passé ni futur.
Je me souviens du syndrome PVV : Perte de la Volonté de Vivre. Des millions d’individus se couchaient le soir et ne se réveillaient pas le lendemain ; ce syndrome concernait en majorité les personnes âgées appartenant aux classes les plus déshéritées.
Je me souviens d'un monde ingérable et hors de portée, même auprès des plus puissants.
Je me souviens d'un monde dans lequel 25% de la production mondiale de l'industrie et des services provenaient d'activités criminelles.
Je me souviens d’un corps humain considéré comme une source d'énergie recyclable.
Je me souviens d’une offre d’immortalité qui consistait à télécharger le cerveau d’un humain sur le disque dur d’un ordinateur…
C’est la rupture…
… entre la chose et le mot, l’idée et son signe qui en est la représentation. Aux uns la description scientifique de la réalité, aux autres, les hypothèses temporairement valides.
Notre monde s'est dilaté. Plus de certitudes sur le monde vécu. Notre existence est spatialement finie, lisse, régulière et uniforme : ses limites sont celles du chaos.
La distinction entre le temps et l'espace a disparu. Nous sommes revenus à notre point de départ.
Nous existons à jamais comme nous l'avons toujours fait. Impossible d'en réchapper, de s'en extraire : notre existence EST. Un point c'est tout ! Et cette existence, qui avait commencé un jour, avant d'exister depuis toujours, remonte maintenant vers l'avenir avant de descendre dans le passé.
Notre capacité de prévoir le futur est réduite à néant. Plus rien n'arrivera puisque tout peut arriver. Seules sont autorisées les trajectoires possibles et définies comme telles : celles dont nous avons calculé l'intégrale car, nous ne faisons plus de distinctions entre les trajectoires futures et passées du temps.
On n'observe plus, on décide et bientôt, avant même que notre existence ne nous en ait fourni la preuve irréfutable, notre seule réalité sera constituée par des calculs fondés sur une théorie sans observations.
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