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Le meilleur de Serge ULESKI : société, politique, art et culture

Etre au monde, oui ! Mais sûrement pas de Ce monde ! Plus de 18 années d’édition de billets de blog sur 20-minutes, Médiapart et Nouvelobs, aujourd'hui sur Overblog... Durant toutes ces années, sachez que tout ce qui est beau, rare, difficile et courageux ne m’aura pas été étranger ; d'où le choix de mes catégories et des sujets traités. Bonne découverte à tous !

L'Art africain : plus d'un siècle de redécouverte...

 

 

          Qui dressera le chapiteau d’un monde qui nous abritera tous ?

 

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               Et si l’art africain était là aujourd’hui pour nous consoler de l’art contemporain fossoyeur de l’art moderne tout au long du 20e siècle ?

Pour s'en convaincre il suffit d'évoquer l'art brut (une bonne partie de la production), le pop art, l’art conceptuel et autres complaisances dans lesquels on trouvera le refus de l'effort et d'un travail dispensés pour une finalité bouleversante et incontestable dans sa maîtrise et son inspiration, témoin indiscutable d‘années de recherche et d’apprentissage solitaires et têtus... ainsi que le rejet de l'abnégation et du sacrifice avec ses conséquences matérielles et sociales car l’art ne nourrit toujours pas son homme !

Aujourd’hui, cet art africain, tel qu'il nous a été révélé à partir des années 20, semble représenter un véritable refuge pour tous les déçus de l’art contemporain.

 

***

 

                 Si Gobineau au 19e siècle attribue la paternité de l’Art à l’Afrique, et plus encore à l'heure où l'origine africaine de l'homme moderne est maintenant scientifiquement établie… l'Art africain n'est-il pas une redécouverte de nous-mêmes ?

                Mais alors, que pense cet art ? Et qui le pense ? Que regardent-ils tous ces visages sculptés dans le bois ? Ces bustes ? Ces masques, que cachent-ils ? Quel regard adresse-t-il et à qui ? Et puis enfin : qui es-tu toi qui les as sculptés ? Quel est ton nom ? Ton visage ? Quelle a été ton existence ?

                 Comment se faire une idée au plus près de leur intimité de toutes ces figures ? Une origine géographique déterminée, la désignation d’une ethnie en particulier, d’un roi, d’un royaume, suffisent-elles à nous apporter une compréhension de ce qui nous est donné à regarder cause d’un attachement qui se voudrait confraternel et quasi-universel ?

 

              Les surréalistes ne s'y sont pas trompés ; ils furent très tôt les meilleurs clients des marchands d'art africain ( Charles Ratton entre autres marchands) car, bien que l’art africain ait laissé en particulier André Breton indifférent, ce dernier a su toutefois résumer tout l’intérêt du mouvement surréaliste pour cet art : «... ces objets-dieux dont nous jalousons très particulièrement le pouvoir évocateur que nous tenons pour dépositaires, en art, de la grâce même que nous voudrions reconquérir. »

Pour ce groupe, l’art africain c’est déjà la surprise et l’émotion, le choc esthétique et la rupture qui font cruellement défaut à l’art contemporain aujourd’hui : 

            "Les peintres et les sculpteurs aussi voyaient dans cet art africain la confirmation de leurs théories cubistes, engagés qu’ils étaient dans des expérimentations révolutionnaires. Les artistes de l’avant-garde sont néanmoins loin d’être les premiers à estimer l’esthétique des objets rapportés des colonies. Avant eux, ethnologues et amateurs ont contribué à faire évoluer les mentalités et à sortir de l’approche racialiste et hiérarchisée du 19è siècle."

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              Discipline ethnologique, musées ethnographiques, face publique d’une politique nationale impérialiste… c’est la colonisation qui aura donc révélé au monde l’art nègre avant de l’assassiner.

Déjà en 1937, Charles Ratton un des plus grands experts et marchands d’art africain et océanien des années 30 écrivait : « La sculpture nègre est morte maintenant, avec les dieux. C’est pour les touristes que sous peu d’années s’exécuteront les tam-tams et les danses. »

De cet art africain, Jean Rouch ressuscitera quand même quelques uns des dieux qui veillent encore sur le fleuve le Niger et ses pêcheurs et leurs familles.

Il est vrai que dans les années 30,  les cultures dont sculptures et masques sont originaires étaient à l’agonie ou mortes. Resnais et Marker dans «  Les statues meurent aussi » dresseront une anthologie de ces œuvres tout en condamnant le sort des populations en Afrique-occidentale française.

Ratton, Rouch, Marker... une autre figure a occupé une place importante dans la révélation de cet Art : Madeleine Rousseau de l’association APAM (musée et culture pour tous !) née du Front populaire en 1936 et rédactrice en chef de la revue Musée Vivant débute sa collection des arts africains et océaniens à la fin des années 30. Elle inscrira le monde noir au tableau de l’association.

                   

               Rois et royaume de Danhomè, divinités guerrières, Bénin, Nigéria, République démocratique du Congo, Cameroun… cuivre, bronze, ivoire, bois, feuilles d’argent, perles et cauris, raphia…

              "L’art africain, très en vogue à New-York dès 1917, joua un rôle important de promotion d’une fierté identitaire afro-américaine. Certains membres du mouvement culturel noir américain devinrent eux-mêmes actifs sur ce marché de l’art."

Fétiches, objets magiques, totems, poteaux, masques, sculpteurs inégalés sur bois et sur ivoire, dès les années 30, et des années durant, la demande en biens culturels africains qualifiés de « objets sauvages » (la sauvagerie, une vertu infiniment désirable chez les surréalistes, signe d’un sous-développement chez d’autres) dans les annonces publicitaires des marchants, sera nettement supérieure à l’offre.

D’où le pillage d’une grande partie du continent par des prédateurs sans considérations éthiques. L’interdiction de l’exportation illicite des biens culturels africains sera rendue effective par l’UNESCO en 1972 seulement ; et les principaux pays importateurs – la France en particulier -, ne ratifieront que dans les années 90 cette convention à l’exception des USA.

 

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               Culture et histoire – mystères de l’art africain -, contre perfection formelle ? Ethnographie ou bien, histoire de l’art  et des beaux-arts qui plus est ? Connaître et comprendre ou bien, plus simplement, ne considérer qu’une seule dimension esthétique ?

Alioune Diop fondateur de la revenue « Présence africaine » écrit en 1951 à propos de l’acquisition de cet art africain par des collectionneurs, marchands et experts : « Ces œuvres ne vous sont pas destinées. La subjectivité du Noir anime leur présence d’une valeur qui découle de son génie, de son histoire, de son isolement. Le public d’Europe leur confère une autre signification assez théorique et liée à ses propres besoins spéculatifs et idéologiques ».

Confronté à des commentaires à propos de l’art africain tels que «  cette imagination échevelée, satanique, cruelle, animale (sic !) faite d’exaltation, de fièvre de délire religieux et de sensualité hyperbolique » Diop souligne l’ignorance du public et souvent aussi, des collectionneurs et marchands, des structures sociales et des croyances religieuses qui leur donnaient fonctions et sens à cet art :

                  "Très tôt, une double identité est projetée sur les œuvres africaines : provocatrices de modernité, elles sont aussi simultanément perçues comme des antiquités ; voie d’évolution et non de régression pour les artistes et galeristes (Brummer, de Zayas dans les années 30), ces œuvres continueront néanmoins de subir les préjugés liés à l’Afrique et aux Africains.

Des visiteurs et des visiteuses pouvaient s’offusquer à propos de statuettes jugées obscènes (sexes en érection, poses jugées indécentes), elles étaient très vite retirées des expositions.

Aussi, nombreux sont les marchands et les collectionneurs à manipuler, couper, retirer des éléments des sculptures pour les rendre conformes à l’esthétique et aux critères du goût occidental : plus de barbe de raphia, plus de pagnes, plus de camisoles, d’ombrelles ou de gris-gris. Les éléments de l’art africain sont alors rendus propres et brillants comme des meubles...

Car l’attrait pour la nouveauté des formes pouvait être combiné à l’attrait pour un certain mystère. Si le regardeur occidental n’en saisissait pas le sens originel, il pouvait néanmoins y projeter l’image d’une Afrique fantasmée, d’un monde inconnu, souvent ingénu, accès possible à une simplicité et une naïveté perdues que les premiers collectionneurs pensaient percevoir dans ces objets. Les œuvres africaines devenaient les réceptacles d’une large part « de subjectivité, d’emphase mal interprétée et de spéculations romantiques. Cette forme d’appréciation se situait entre la condescendance et la nostalgie d’un passé plus proche de la nature. Ces deux sentiments – mélange de certitude d’une supériorité morale et de paternalisme pour le premier, et association du mode de vie des peuples non occidentaux avant l’enfance de l’humanité pour le second -, puisent leur source dans l’idéologie impérialiste, dont l’intérêt était bien entendu de mettre en avant et d’exacerber les différences et la dichotomie entre le sauvage et le civilisé."

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Tous les écrits en italiques se rapportent à l'ouvrage édité à l'occasion de l'exposition "Charles Ratton - l'invention des arts primitifs" du quai Branly en 2003. L'ouvrage est disponible à la librairie : "Mona lisait" rue du fbg saint Antoine - Paris

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